samedi 30 juin 2012

Chevaux, un méchant garçon

Laissez-moi vous conter l'histoire de la famille Chevaux.

Voulême, BMS 1668-1672, v. 15/46
Aussi loin que possible, cette famille apparaît sur la petite paroisse de Voulême, à l'extrême Sud-Ouest de la Vienne, bordée à l'Ouest par Montalembert (79) et au Sud par Les Adjots (16). Inscrite à l'intérieur d'un méandre de la Charente, cette petite bourgade accueille en 1669, la bénédiction nuptiale de Jean Chevaux et de Jeanne Juellin (née vers 1648 et décédée en 1698).



Ils ne sont probablement pas loin de leur foyer d'origine, puisque, même sur la carte de Cassini, on remarque le petit village de "Chez Chevaux", sur la paroisse voisine de Saint-Macoux (86) (au Nord-Ouest de Voulême).

Extrait de la carte de Cassini
Jean Chevaux et Jeanne Juellin sont les parents de :
  1. Joseph, né vers 1672 et mort en 1730 à Voulême. Celui-ci sera l'époux d'Hilaire Raffoux en 1692, d'Élisabeth Servant en 1718 puis enfin de Renée Verdon en 1721 ;
  2. Jean, qui suit ;
  3. Jeanne, épouse de Pierre Robin en 1702 puis de Jean Picault en 1720 ;
Jean Chevaux épouse Marie Pelisson (née en 1683) en 1701 dans la paroisse voisine de Saint-Gaudent (86).

Saint-Gaudent,
BMS 1692-1710, v.52/101
Tous leurs enfants naissent dans cette paroisse, qui sont :
  1. François, né en 1704 ;
  2. Anne, née en 1708 ;
  3. Antoine, époux en 1726 de Marie Barbotin ;
  4. Emery, né en 1710 et décédé en 1760, qui suit ;
  5. Jacques, né en 1715 et décédé en 1716 ;
  6. François, né en 1717 ;
  7. et Marie, née en 1722.
Déjà nombreuse, cette famille se déplace et c'est aux Adjots que l'on retrouve Emery, épouse  vers 1734 Marie Petit (née en 1706 et décédée en 1781). Ils sont les parents d'au moins :
  1. Jean, né en 1738 ;
  2. Catherine, né en 1741 ;
  3. André, né en 1743 et décédé en 1806, qui suit ;
  4. Marie, née en 1752.
La famille Chevaux s'agrandit. En 1767, André épouse Françoise Meunier (~1752-an XI), originaire de Benest (16). Leurs enfants naîtront d'abord aux Adjots, puis à Voulême :
  1. Jean (1767-1848), qui suit, 
  2. Françoise , née vers 1770, épouse de Charles Janot à Saint-Macoux en 1811, 
  3. Marie , née vers 1775 aux Adjots et décédée en 1781 à Voulême, 
  4. Pierre (1775-1836), époux de Marie Poinfoux en 1819 à Saint-Gaudent, 
  5. Jean, né en 1777, 
  6. André, né en 1780, 
  7. et Marie, née en 1783. 
Mon aïeul Jean Chevaux, né aux Adjots le 27 octobre 1767, semble avoir eu une vie bien accomplie. Il épouse, à Voulême, le 29 pluviôse de l'an II, Jeanne Roy (1766-1825), originaire de Limalonges (79). Tous leurs enfants naîtront à Voulême par la suite :
  1. Françoise (née en 1794), 
  2. Jean (1795-1796), 
  3. Pierre (1797-1864) époux de Marie-Magdeleine Guyot (1786-1855), 
  4. Jeanne (1798-1800), 
  5. Marie (née en 1800), épouse de Pierre Mathieu Félix (1808-1890), 
  6. Jeanne (1802-1804), 
  7. François (1804-1872), époux de Françoise Pissard (1802-1883), 
  8. Jean (1806-1853), époux de Jeanne Félicie Guillaud, 
  9. et enfin ma sosa Jeanne (1811-1882), épouse de Jean-Baptiste Guillaud (1808-1868).
Jeanne Roy quitte ce monde le 13 avril 1825. Le couple est alors installé à Montalembert (79). Ayant au moins 5 enfants à charge, le pauvre homme se choisit une seconde épouse en 1831, lorsqu'il épouse Jeanne Olivet à Montalembert. Ce couple aura deux enfants sur Montalembert : Jean (1831-1886), époux de Magdeleine Gire, et Pierre (1833-1878). La famille s'agrandit toujours : elle s'installe à Saint-Macoux, dans le village de chez Lapitheau. 4 autres enfants naîtront : Jeanne (1837-1837) et sa jumelle Marie (1837-1837), Françoise, née en 1839, dite également "Jeanne" et épouse de Pierre Roucher, Adèle (1842-1842) et enfin Marie, née en 1846.

Au terme de ses 80 ans, Jean Chevaux s'éteint le 16 janvier 1848 à Saint-Macoux. Avec deux mariages, et sur 52 ans, sont nés 16 enfants (6 enfants morts en bas-âge et 9 au moins ayant l'âge adulte). A noter qu'il était âgé de 78 ans à la naissance de sa dernière fille Marie !

Jean Chevaux laisse donc une veuve qui aura la charge 4 de ses enfants les plus jeunes : Jean, Pierre, Françoise et Marie. L'aîné, Jean, quitte le domicile familial en 1854. Et c'est par son jeune frère, Pierre, que le drame familial commencera.

Le 7 juillet 1855, Pierre Chevaux est condamné à 3 jours de prison pour le vol de pain. C'est le début d'une longue série.

(à suivre)

lundi 11 juin 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (7) - 5e


AdP 04/10-27/12/1787, v.7
Du 25 octobre 1787

Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches
                                                                    
Monsieur, voilà plusieurs années, M., que vous insérez dans vos Feuilles quelques observations qui m’attirent des censeurs. Cela ne m’étonne pas, parce qu’on ne doit plus espérer de réunir les suffrages de tout le monde : ce qui est approuvé par les uns, est censuré par les autres ; chacun a ses argumens, ses dogmes, ses erreurs & ses illusions ; chaque interlocateur fait valoir son opinion, sur laquelle il n’y aura jamais de méthode.
Tous mes censeurs ont voulu me persuader que les connoissances de la Médecine & l’Agriculture étoient absolument contraires, & même incompatibles avec les devoirs & la gloire de l’état ecclésiastique.
J’ai triomphé aisément d’eux, en leur rappelant l’intention du Clergé & du Gouvernement qui nous envoie des remèdes. Je leur ai rapporté les conseils de Tissot, Buchon & Rosen ; plusieurs Médecins qui exhortent les Curés à s’instruire d’un art qui les touche de si près, puisque c’est par là qu’ils pourront satisfaire leurs vues bienfaisantes, & exercer les actes de l’humanité les plus essentiels.
D’ailleurs il faut voir les sages lois du Législateur des Juifs, pour la conservation de leur santé, & les précautions qu’on prenoit pour éviter la contagion. Qu’on se rappelle encore le mandement du célèbre Archevêque de Toulouse, Mgr de Loménie de Brienne. Qu’on lise les expériences de MM. L’Abbé Tessier, Rozier & plusieurs autres Eccliésiastiques, choisis pour contribuer à la perfection de l’Agriculture. Tant d’Auteurs dignes des plus grands éloges, & de la reconnoissance publique, peuvent servir d’un exemple capable de désarmer les plus grands censeurs.
Il feroit même essentiel pour l’intérêt public, que les Curés eussent été depuis mille ans Historiographes de leur paroisses ; qu’ils eussent tenu des registres exacts des évènemens intéressans qui s’y sont passés : nos histoires auroient peut-être plus de véracité ; chaque Curé successeur connoîtroit tout de suite sa paroisse ; & ces mêmes registres serviroient de base solide pour l’histoire particulière de chaque province : car combien ne manque-t’il pas de monumens pour former une histoire certaine !
Il feroit encore essentiel pour l’Agriculture, que les Curés eussent tenu depuis mille ans des registres contenans les expériences des meilleurs Agriculteurs, on trouveroit aujourd’hui un guide sûr ; car l’art de labourer, semer, moissonner, n’admet point des expériences faites à cent lieues ; tout est soumis au lieu, au climat, à la saison : c’est ce que j’ai vu par le changement des Colons d’une paroisse étrangère dans la mienne ; en apportant la méthode de labourer qu’ils patriquoient dans la paroisse qu’ils ont quittée, ils ont apporté dans la mienne leur ruine, & celle de leur maître, &c.
Je ne saurois encore répéter trop souvent que plus les Curés exciteront leurs paroissiens au travail & à l’émulation, plus ils les rendront riches, & plus il sera facile de leur imprimer les devoirs de la religion.
Car il faut, pour faire connoître à un Paysan la religion & l’honneur, lui faire sentir l’aisance, parce qu’un cœur flétri par la pauvreté, n’a d’autre sentiment que celui de la misère ; il ne pense qu’à pleurer son état ; il veut vivre, cherche du pain, oublie la religion, l’honneur & tous autres sentimens ; & une maladie seule peut mettre le meilleur Agriculteur dans cet état déplorable.
Bien plus, on ne peut pas douter que notre existence physique & morale dépende souvent de ce qui nous environne. L’influence des météores se fait sentir sur nous & sur les végétaux ; l’année, suivant le proverbe, fait plus que la culture. Plusieurs philosophes prétendent qu’après des observations météorologiques, on peut prévoir, comparer & prévenir les bonnes & mauvaises années, &c.
Or si depuis mille ans chaque Curé avoit tenu dans sa paroisse un registre fidelle d’observations météorologiques, dans lequel on auroit inscrit les variations de chaque jour, l’état du ciel, que de ressources ne pourroit-on pas trouver !
Qu’on eut ensuite réuni & comparé l’état des maladies de chaque année, les remèdes, les moyens employés, les succès de l’Agriculture, la date des labours, les influences de l’atmosphère, on auroit pris des précautions qui auroient pu être essentielles pour notre santé & notre Agriculture.
Car, en fait de maladie & d’Agriculture, il ne faut pas raisonner généralement ; tout devient différent en chaque lieu ; tout dépend des vents, des pluies, du froid, des bois, des collines, &c. Il a tombé de la grêle à Chef-Boutonne, il n’en a pas tombé dans quelques paroisses voisines ; un terrain peut être plus froid qu’un autre terrain voisin. Enfin tout prouve qu’il faut absolument des observations locales pour agir sûrement en fait de remèdes & de moyens pour l’Agriculture. Si la mort gronde sur nos têtes, les moyens de l’éviter est peut-être caché dans l’herbe que nous foulons aux pieds.
Le bon sens & la raison nous prouvent enfin qu’il ne suffit pas à un Curé de se borner à la religion ; il faut encore contribuer au bien de l’État : si notre vie exige de nous une connoissance de première nécessité, les besoins qui nous attachent à la charrue, exigent encore un travail aussi pressant ; & je ne croirois jamais que les observations de la nature, si nécessaires à la conservation de notre être, & qui nous élèvent jusqu’à son auteur, puissent offrir un objet contraire à l’état ecclésiastique : nous devons au contraire (selon moi) admirer, honorer & rechercher cette vertu éclairée, bienfaisante, qui embellit notre existence, & qui nous fait chérir le plaisir de faire le bien, qui est le plus beau spectacle de la nature.
D’après ce que je viens de dire, mes censeurs ont été obligés d’avouer que le soin de marquer les faits historiques, les variations météorologiques, & les succès de l’Agriculture, bien loin de détourner les Curés de la religion, les en rapproche au contraire par l’exercice de la charité, de l’humanité & des devoirs de citoyen.
J’ai l’honneur d’être, &c.

samedi 2 juin 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (7) - 4e


AdP 04/10-27/12/1787, v.3
Du 11 octobre 1787

Lettre de M. Piorry, Chirurgien en cette ville, & ancien Chirurgien-major des armées navales du Roi, à un Curé des environs de Civrai
J’ai lu & relu, M., avec le plus grand plaisir vos réflexions sur la mort subite d’un Moissonneur, insérées dans la Feuille du 27 septembre dernier. Il faut avouer que vous n’êtes point un critique sévère, & que vous mettez la personne à qui vous rpondez d’autant plus à son aise, que vous feignez constamment de ne pas connoître les termes équivoques et pompeux, les phrases suivies, les transitions heureuses, &c., &c. Je ne devin pas votre intention : mais au fait, à quoi bon tant de foin ? Ne suffit-il pas qu’on rapporte les choses ? Peu importe comment ; tant pis pour qui ne les entend pas.
Pour moi je conçois fort bien que vous voudriez qu’on vous crût Curé de campagne ; cependant vous n’avez pas de motif pour outrager vos prétendus confrères, en donnant une fausse acceptation à ce titre honorable. Mais il est certains phrases de votre récit, que je ne comprend pas aussi facilement, & dont je vous demanderois l’explication. Par exemple, vous dites « que le Moissonneur mort étoit dans un terrain bas, opposé à un autre terrain, qui présentoit au soleil un côté concave, qui a pu fair el’effet du miroir ardent sur la tête de ce malheureux.»
Vous voulez dire sans doute que le défunt moissonnoit dans une caverne. S’il eut été au pied d’un côteau, vous n’auriez pas écrit, dans un terrain bas, &c. ; mais, sur un terrain bas, dominé d’un côté par une collune demi-circulaire, dont le pied & la cime étoient respectivement distants de tant de toises du point qu’occupoit le Moissonneur : & calculant après les distances respectives, vous auriez donné la hauteur & le degré de déclivité de ce côteau ; le Lecteur s’en seroit formé une juste idée, & malgré cela vous n’eussiez pas été trop curieux & trop minutieux observateur.
Quelque soit le lieu que vous voulez désigner, je ne croyois pas, avant la lecture de votre lettre, que la terre rouge ou noire, & sillonée, pouvoit réfléchir les rayons solaires avec une convergence assez exacte pour leur faire former u centre ou foyer lumineux ; j’avois seulement appris que les surfaces unies, polies, dures, & surtout blanches et brillantes, pouvoient produire la réflexion des rayons solaires, & qu’au contraire les surfaces moins dures, inégales, colorées, & surtout celles qui approchent le plus du noir, absorboient les rayons solaires avec avidité. Au reste on fait journellement des découverts, & qui oseroit contester qu’il ne vous étoit pas réservé, M., de faire connoître un miroir ardent de cette espèce, qui, quoiqu’actuellement sans effet manifeste, pusqu’il n’a aucunement altéré la peau du Moissonneur mort, pourroit avec quelques corrections égaler par sa chaleur celui du jardin de l’Infante.
« La fatigue, dites-vous ensuite, & les rayons du soleil ont pu porter le sang au cerveau, & occasionner une apoplexie. » Et ailleurs : « Le froid ne cause la mort que parce qu’il coagule le sang dans les extrêmités, le retient dans les vaisseaux, empêche la circulation, & fait porter le sang au cerveau. » Selon vous les effets du chaud & du froid, quoique réellement opposés, sembleroient être les mêmes, puisque dans l’une & l’autre circonstance le sang est porté au cerveau. J’examine surtout l’action du froid, qui, en retenant le sang dans les vaisseaux, empêche la circulation, & malgré cela, vous assurez qu’il faut porter le sang au cerveau. Toutes ces idées ne me paroissent pas moins neuves que l’invention de votre miroir ardent, & je ne vous avoue ingénument que je ne les comprends pas. Désespéré de ne pouvoir raisonner comme vous, je me suis rendu compte de la mort du Moissonneur, en l’expliquant d’après les principes reçus. J’ai vu que la cessation ou l’extinction de l’irritabilité & de la sensibilité chez ce malheureux, l’a conduit à la mort ; & je le crois d’autant plus fermement qu’il falloit cette circonstance pour qu’il s’en suivit le gonflement & la prompte putréfaction dont vous parlez : effets que le sang, qui n’est qu’une humeur purement passive, n’auroit jamais pu produire, & qui ne surviennent point à l’apoplexie. Au surplus, vous savez aussi bien que moi, que l’irritabilité & la sensibilité sont les deux principes d’où dépend immédiatement la vie animale, sans parler de l’âme qui nous distingue des brutes.
Forcé de raisonner d’après ces deux principes, puisqu’ils sont aussi évidens que le jour, j’ai reconnu facilement la cause de la mort du Moissonneur en question, & j’ai pensé que, pour expliquer ce phénomène, il étoit inutile de se rappeler qu’en 1709 il tomba plus de pluie en Angleterre qu’en 1714 ; que les cinq huitièmes de nos alimens liquides ou solides se perdent par la transpiration ; que l’espace qu’occupe un gran de sable posé sur la peau, renferme vingt-cinq mille pes, & non pas, comme vous l’avez dit, que nous avons vingt-cinq mille pores qu’occuperoit un grain de sable ; que ce qui se passe sur la Cordelières du Pérou n’a rien de commun avec la mort du Moisonneur. En consultant le point de Physiologie sur l’irritabilité & la sensibilité, vous vous convaincrez vous-même que les vomitifs bien administrés ne sont pas des remèdes qui agitent & échauffent la masse du sang, vous vous apercevrez que leur effet ne se borne pas à une évacuation douce, mais qu’ils dissipent encore les concentrations des forces vitales, qu’ils facilitent leurs égales distributions, en rompant les spasmes, & qu’en un mot ils rétablissent le calme.
Je craindrois d’abuser de votre complaisance & de celle de l’Auteur de cette Feuille, en devenant prolixe : je me réserve, sous son bon plaisir & le vôtre, de vous parler une autre fois de gaz méphytique, dont vous confondez la nature avec celle du gaz inflammable. Je désire que mes réflexions vous prouvent combien je fais cas de vos écrits, & combien je suis jaloux de m’entretenir avec vous & avec l’Auteur de la lettre du 30. août dernier.
J’ai l’honneur d’être, &c.