dimanche 13 octobre 2013

Le meurtre de Brux (1906)

Le crime

C'était la nuit du 5 au 6 mars 1906, nous étions à Brux, dans une maison bourgeoise du bourg de la commune.
La vieille dame Gaschet, un peu sourde, fut violemment frappée, s'éveilla et crut que son mari, dormant à ses côtés, était devenu subitement frappé de folie.
— Es-tu fou, Gaschet ? s'écria-t-elle.
Dans le pénombre, elle ne distinguait aucun mouvement, et son mari ne répondait pas. Prise de panique, elle appela au secours, et sa belle-fille, qui dormait dans une chambre à l'étage supérieur, descendit rapidement. A la lumière d'une lampe, la femme, horrifiée, ne cacha sa surprise lorsqu'elle aperçut le visage ensanglanté de son beau-père, qui gisait immobile dans le lit. A son tour, elle crut que sa belle-mère avait été prise d'un accès de folie !

On réveilla un voisin qui se rendit à Couhé, d'où on ramena le docteur Tabakian.

A son arrivée, on s'aperçut que la serrure de la porte avait été détachée à l'aide d'un ciseau de menuisier, et on se persuada à ce moment-là qu'il s'agissait en fait d'une tentative de meurtre !

Les blessures de M. Gaschet étaient horribles : chacune d'entre elles avaient 4 cm de largeur, et n'avaient épargné ni le visage ni le reste du corps : le visage, le cou, l'épaule gauche et la poitrine étaient couverts d'énormes plaies et il perdait du sang par la bouche. Les premiers examens indiquèrent qu'il avait la mâchoire fracturée en deux endroits, plusieurs côtes avaient été brisées, et l'un des fragments avait atteint la plèvre et avait peforé le poumon, entraînant une hémorragie interne et une pneumonie traumachique.

Il devint évident qu'un malfaiteur s'était introduit dans la maison à la faveur de l'obscurité. Il devait bien connaître les lieux, pénétrant dans la chambre des maîtres de maison, dans l'intention sans aucun doute de fouiller les tiroirs où les époux Gaschet avaient l'habitude de caché l'argent destiné aux dépenses courantes. On pouvait même espérer y trouver une somme importante reçue par Gaschet à la foire de Couhé, le 21 février précédent.

A priori dérangé dans son ouvrage, le malfaiteur s'était approché du lit des époux Gaschet, et, pour ne pas être reconnu, les avait frappé avec une violence inouïe avec une arme inconnue, probablement une masse.

La blessure reçue par Mme Gaschet, sur le dos de sa mai gauche, avait laissé une trace caractéristique, comme une empreinte d'un instrument métallique, ni tranchant, ni pointu, telle laissée par une masse ou un marteau. 


Gaschet, lui, ne devait survivre que deux jours, mourant le 8 suivant.


Les époux Gaschet étaient deux vieillards appréciés dans le bourg de Brux. Il y vivaient seuls, avec une jeune domestique de 16 ans, et leurs enfants, qui demeuraient loin, venaient bien les voir, mais accidentellement. Ils étaient charitables et n'avaient aucun ennemi. Leur situation de fortune venaient de la vente de leurs récoltes — ils étaient agriculteurs.


L'enquête


L'état des lieux avait révélé que l'assassin, venant à travers champs, avait pénétré dans le jardin qui surplombait la maison, par un mur à moitié éboulé. Un carreau d'une fenêtre, placé de côté, avait été enlevé, et l'auteur du crime, passant la main à travers l'ouverture, avait fait joué l'espagnolette et été entré dans une chambre inhabitée. La porte de cette pièce était fermée à clé, il alluma une bougie, qu'il plaça dans le clivage d'une chaise, et entreprit de pratiquer des trous autour de la serrure, à l'aide d'une tarière. En coupant les intervalles entre les trous à l'aide d'un ciseau à bois ou d'un couteau, il parvint à détacher la serrure fermée et ouvrit la porte. Il laissait, néanmoins, des gouttes de cire à même le sol et sur ses instruments.


Il se dirigea sans bruit ni heurt à travers les pièces encombrées de meubles, ce qui témoignait d'une connaissance préalable des lieux. Arrivé dans la chambre des hôtes de la maison, il les frappa dans les circonstances que l'on sut, pour ne point être dérangé dans sa fouille. Mais les cris de Mme Gaschet interrompirent son méfait.


Les soupçons se portèrent assez rapidement sur un des anciens journaliers de M. Gaschet : François Ernest Didier, homme robuste, connu pour son caractère sournois et brutal, besogneux, privé de toute considération dans le pays et d'une réputation de maraudeur et de voleur, qui habita Brux pendant 7 ans, avant de s'installer à Vaux quelques mois plus tôt.


Interrogé sur son emploi du temps, Didier prétendit avoir quitté son chantier de la Bonvent, le lundi au soir, où il cassait des cailloux, pour se rendre à Brux, puis au village de la Garde où l'appelaient ses affaires. Il était rentré chez lui, à Vaunoir, situé à plus de 7 km, vers 11 heures du soir et s'était couché dans son lit, où dormait déjà son épouse. Le lendemain matin, il devait se lever à 5 h 30 pour se rendre de nouveau à la Bonvent. Toutefois, sa femme, interrogée par la justice, déclara que son mari non seulement avait découché cette fameuse nuit, et qu'elle ne le revit que le mercredi soir. Confronté à ses contradictions, l'homme reconnut que pour ne pas déranger sa femme, il s'était contenté de coucher dans le foin, dans une dépendance de sa maison. Malheureusement pour lui, les gendarmes découvrirent que le foin n'avait pas été foulé et qu'aucun signe de couchage récent ne fut constaté.


Mais ce fut une autre charge qui confondu le coupable. En fait, le mardi matin 6 mars, vers 8 heures et demie, il travaillait à son chantier de la Bonvent, lorsqu'il fut rejoint par le sieur Guillaumet, entrepreneur de travaux, qui l'employait à l'extraction et au cassage de cailloux. Là, le suspect avait fait un récit détaillé de l'attaque de la veille, en indiquant dans le détail que le malfaiteur avait pénétré par une porte de derrière. Or, à cette heure-ci, Didier n'avait pu rencontré quelqu'un au courant des faits. Didier nia avoir rencontré Guillaumet le matin, mais plutôt l'après-midi, lorsque la nouvelle de l'agression des Gaschet s'était répandue dans la campagne. Didier disait l'avoir appris du sieur Braud, mais ni le sieur Braud, ni le sieur Guillaumet, ne donnèrent raison au suspect.


Suite à son arrestation le 8, jour du décès de la victime, son domicile fut perquisitionné le 11 mars. Les gendarmes y trouvèrent, non sans mal, une tarière (portant les inscriptions "Cholet" et "11 lignes"), dont l'accusé reconnut en être le propriétaire. Des taches récentes de bougie étaient apparentes, identiques à celles trouvées à même le sol dans la maison des Gaschet.

Il fallut une étude mené par deux experts, qui reconnurent que cette tarière avait bien été celle utilisée lors du méfait. Elle présentait, en effet, des ébréchures sur l'un de ses couteaux, dont la forme et les dimensions étaient caractéristiques.

Enfin, on s'alarma sur le fait que Didier, de par son métier, avait l'habitude de se servir d'une masse pour casser le cailloux. Hors, c'était bien avec ce type d'objet que les blessures avaient été faites aux époux Gaschet. Lors du procès, on rapprocha l'un de ses masses, trouvées à son domicile, de la main de Mme Gaschet, et on constata, bien qu'il ne s'agissait pas d'une charge accablante, que la masse et la blessure correspondaient.


Dès le premier jour du crime, on avait été frappé par l'attitude du sieur Didier. Il s'était trouvé à la foire de Couhé, le jour où Gaschet avait reçu publiquement une forte somme d'argent. Il se mit à parler de détails du méfait, qu'il n'était pas censé connaître, discutant avec des gens dont il n'était pas particulièrement proche ou apprécié, s'inquiétant même, par exemple, de savoir si on avait trouvé des traces de pas sur la gelée du jardin.


Malgré ces lourdes charges, Didier nia être l'auteur de ce crime. Marié et père de famille, même s'il avait la réputation d'un homme violent et brutal, était un ouvrier laborieux. Toutefois, mésestimé, on lui reprochait d'être l'auteur de nombreux vols dans la région, d'après le maire de Vaux, dont il habitait la commune depuis septembre 1905.


Le procès


Le procès s'ouvrit le 21 novembre au tribunal de la cour d'Assises de Poitiers, présidé par M. Masquerier, conseiller à la Cour, assisté de MM. Chateignier et Pallu. L'accusation fut portée par l'avocat général Marquet, tandis que le défense était assuré par Me Georgel.


54 témoins furent cités à comparaître durant celui-ci, tant du côté de la défense, principalement des témoins de moralité :

  • MM. Dastre fils, camionnier à Chez-Coudret de Brux et Alexandre Guillet, cantonnier à Massé de Chaunay, ne connaissaient pas très bien l'accusé ;
  • M. Henri Giraud, charron, rue Champagne, à Poitiers,
  • MM. Gabriel Beau, propriétaire à la Garde de Brux, Dury, journalier au même lieu, Victor Leblanc, propriétaire à Brux, Alexandre Dubois, chef cantonnier sur la ligne d'Orléans, à Poitiers, Joseph Allain, rentier à Vaux, Maximin Vincent, cultivateur à  la Tonnelle de Vaux, Célestin Nicouleaux, cultivateur à Guéfait de Vaux, Pasquinet, marchand de bois à Pannière de Chaunay, Louis Gobain, propriétaire cultivateur à la Garaudière de Vaux, Alexis Chartier, instituteur à la Trimouille, puis directeur d'école à Montmorillon, Auvin, propriétaire aux Renardières de Rom, Jean Guichard, marchand de bois, à Lépinier de Vaux, furent essentiellement appelés à la barre pour déclarer n'avoir « rien à reprocher à l'accusé » ;
que celui de l'accusation :
  • M. Théophile Roy, maréchal des logis de gendarmerie à Couhé, fut celui qui fut informé du méfait et qui conduisit l'enquête ;
  • MM. Ferdinand Fouet et Jean Pedron, gendarmes à Couhé, furent chargés d'interroger Didier. Il auditionna notamment la femme Didier, qui, après lui avoir menti pour couvrir son mari, revint sur ses déclarations. Ils saisirent au domicile de Didier une tarière portant des traces de bougie sur la poignée et des traces rouges sur le pas de vis ;
  • docteur Tabakian, à Couhé, fut appelé aurpsè des blessés auxquels il donna les premiers soins ;
  • docteur Périvier, à Civray, procéda aux constations médico-légales et à l'autopsie de Gaschet ;
  • Mme Rosalie Mironneau, veuve Gaschet, rentière à Sommières-du-Clain, bien que convoquée, ne put se présenter au tribunal, au prétexte que son état de santé ne lui permettait pas ;
  • Augustine Foucher, domestique à Sommières, chez M. Lucquiaud, gendre de Mme Gaschet, était lors du crime la domestique du couple Gaschet. Le 9 décembre 1905, vers 9 heures du soir, cette jeune fille avait aperçu un homme dissimulé dans le jardin de ses maîtres, qui s'était enfui à son appel. Les époux Gaschet, ayant pris peur, avait fait fermer les fenêtres donnant sur ce jardin. C'est également elle qui avait constaté l'absence d'un carreau à l'une des fenêtres, dix jours avant le crime ;
  • M. Aristide Masson, maréchal à Brux,
  • MM. Léger Maurice, professeur à l'école de médecine de Poitiers, René Belaud, charron à Civray, Louis Chagnaud, serrurier à Civray, Ernest Sauroy, mensuisier, 10 boulevard Solférino à Poitiers, et Vignaud, serrurier, rue de la Cathédrale, à Poitiers, furent les experts en charge de caractériser la fameuse tarière découverte chez Didier. Ils se confrontèrent au procès, n'arrivant pas à faire l’unanimité entre eux. La polémique vint de M. Sauroy, qui, aux Assises, devant les jurés, déclara qu'il ne s'agissait pas de la tarière qu'on lui avait confié précédemment à son examen, le 2 août. Vignaud et Chagnaud, n'hésitèrent pas le contredire et Sauroy, la mine désolé, finit par avouer s'être trompé. On arriva enfin à la conclusion que la tarière de Didier, présenté devant les jurés, était "presque"certainement celle qui a servi à faire les trous dans la porte des Gaschet, mais cet incident faisait le beurre de la défense ;
  • M. Charles Mulard, négociant en tissus à Civray, avait constaté que les rideaux des Gaschet avaient été déchirés, et non coupés, certainement par l'accusé lorsqu'il fut surpris par le réveil de la dame Gaschet ; 
  • M. Auguste Vétault, cultivateur à Brux, avait rencontré Didier la veille du crime, qui lui avait indiqué qu'il allait coucher à la Garde ;
  • selon Pierre Desouches, sans profession, de Brux, Didier devait ignorer la présence de la bru des Gaschet le soir du crime ;
  • à Mme Marie Rocher, veuve Desouches, de Brux, Didier avait demandé des nouvelles des Gaschet, la veille du crime ;
  • Mme veuve Petit, épicière à la Garde de Brux, eu la visite de Didier le 5 mars au soir, vers 7 heures. Il portait des sabots, et malgré une invitation de l'hôtesse, il préféra dîner, dit-il, chez son beau-père au Peux. Finalement, il se ravisa et, comme il était tard, il lui dit qu'il irait plutôt chez lui, à Vaunoir ;
  • Mme Marie-Clémentine Lamy, femme Didier, sans profession, à Vaux, épouse de l'accusé ;
  • Mme veuve Foucher, sans profession, à la Vaunoir de Vaux, voisine de l'accusé, ne l'a point entendu rentrer le soi du crime ;
  • Mme Hérault, rentière et ménagère au même lieu ;
  • M. Alphonse Guillon, domestique à la Martinière de Rom, avait rencontré l'accusé le matin du crime. Celui-ci lui avait dit qu'une bande de "gens sans aveu" parcourait le pays ;
  • M. Pierre Cartais, propriétaire  cultivateur au Roty de Brux ;
  • M. Chéri Guillaumet, entrepreneur à Chaunay, était l'employeur de l'accusé ;
  • M. Louis Braud, domestique à Brux, 26 ans, apprit, dit-il, le crime de la bouche de Didier dès le matin même, ce que nia l'accusé ;
  • M. Auguste Morisson, domestique à la Raffinière de Brux, avait vu Didier venant dans la direction de la Vaunoir, le 7 mars vers 6 heures et demi du matin ;
  • M. François Beau, cultivateur au Roty de Brux, confirma les déclarations du précédent témoin — « Ce n'est pas vrai » dit Didier ;
  • M. Léon Vétaux, cantonnier au Peux de Brux, rencontra l'accusé vers 7 heures un quart entre le Peux et Brux, et Didier lui avait demandé des nouvelles des Gaschet ;
  • M. Philibert Gaschet, receveur de l'enregistrement à Thouars, fils des victimes, déclara au procès : « Quand j'arrivai, la rumeur publique indiquait Didier comme l'auteur du crime. Mon père était très bon pour lui. Didier vint le 7 mars au main, voir mon père avant sa mort. Il resta environ à deux mètres de distance, alors que les autres venaient serra la main du mourant. En regardant la déchirure du lit, l'accusé fit remarque que l'assassin devait être très grand. Je l'ai examiné très attentivement tet lui ai trouvé  une attitude très embarrassé ». Son épouse quant à elle, Marie-Justine Desouches, se trouvait chez ses beaux-parents le soir du crime ;
  • M. Delphin Gaschet, propriétaire à Neuville-de-Poitou, autre fils des victimes, confirma les déclarations de son frère ;
  • Mme Berthe Gaschet, épouse Lucquiaud, à Sommières, fille des victimes, constata également la distance qu'avait pris Didier lorsque celui-ci était venu son ancien employé mourant, alors que tous les autres visiteurs l'approchaient ;
  • M. Pierre Rogeon, fermier à Estivault de Romagne, était avec Didier lorsque celui-ci rendit visite au mourant. Didier, semblait-il, était plus intéressé aux traces laissées par le malfaiteur, que par la victime elle-même ;
  • M. Aristide Baritaut, maréchal à Brux, fut témoin de l'échange entre Didier et Pierre Motillon, qui avait accusé ce dernier d'être l'auteur du crime ;
  • M. Pierre Motillon, cultivateur à Brux, avait interpellé Didier le lendemain du crime, et lui aurait dit ! « Est-ce toi qui as tué M. Gaschet ? — Non, lui avait répondu Didier, car je l'aimais trop pour cela » ;
  • Mme Louise Alligné, femme Bonnin, à Brux, s'entretenait du crime avec Didier, et celui-ci lui aurait déclaré que « les coups ont dû être portés avec un marteau ou une masse » et que « celui qui a frappé Gaschet devait être grand parce que les rideaux ont été déchirés près du ciel ». Didier confirma peu ou prou ses paroles, et déclara qu'il avait lui même mesuré, en levant la main, la hauteur de la déchirure, en rendant visite au mourant. Delphin Gaschet, rappelé à la barre, nia que Didier avait approché d'aussi près le rideau et le lit du mourant qui se trouvait à côté ;
  • M. Pierre Millet, cultivateur à la Pérauche de Brux, était avec Didier, le 10 mars, et ils discutaient ensemble du crime. Didier, pour lui expliquer, lui fit un plan de la disposition sur le sol, avec son couteau — « C'est faux ! » dit Didier, mais le témoin était formel. Didier aurait ajouté que « si j'avais voulu voler Gaschet, je l'aurais pu vingt fois... Je connais la maison très bien. Je sais où Gaschet met son argent... D'ailleurs, il avait très peu d'argent chez lui, je l'ai vu l'autre jour sortir de la poste avec son livret de caisse d'épargne à la main » — « Le témoin ment » indiqua Didier. Pourtant, le témoin n'en démord pas. De plus, c'est par Didier que Millet apprit l'existence d'un carreau manquant à l'une des fenêtres, ainsi que l'utilisation d'une tarière pour forer la porte autour de la serrure, ce que Didier n'aurait certainement pas dû savoir. Enfin, Millet avait également remarqué, le 10 mars, que Didier était blessé à la main gauche, ce que l'accusé reconnut, toutefois, affirma-t-il, cette blessure était due à un éclat de pierre ;
  • M. Jean Toulat, propriétaire aux Bernards de Couché, affirma que lui appartenait un coup-foin que Didier prétendait avoir découvert sur la route. Le témoin affirma pourtant qu'il lui avait été pris chez lui. Me Georgel, à ce stade du procès, s'irrita contre le témoin. Il accuse l'accusation de faire venir à la barre des témoins qui déposaient à l'occasion de vols dont l'accusé n'avait pas à répondre, n'étant pas l'objet du procès. Ce témoin, répliqua le président, était un témoin de moralité, qui ne devait témoigner que de moralité de Didier ;
  • M. Alexandre Vétaux, propriétaire au Grand-Vion de Brux, autre témoin de moralité, n'était là que pour imputer un autre vol à l'accusé : une scie, que Didier affirmait avoir acheté à Couhé ;
Nous en étions alors au deuxième jour du procès. Ce 22 novembre, en deuxième séance, l'audience ouvrit à 1 heure et demie. Le prétoire fut littéralement envahi, les sentinelles débordées, et on se croyait revenu aux jours de l'affaire Monnier. Didier n'apparaissait pas fier d'avoir attiré une foule pareille au Palais. Complètement abattu, il attendait le verdict.

De nouveau, on entendit les experts qui ne s'étaient pas tous trouvé unanimes au sujet de la tarière, histoire de ne pas laisser de doute, suite à l'incident Sauroy de la veille. Finalement, on réitéra l'annonce : c'était bien la tarière de Didier qui avait causé les perforation dans la porte des Gaschet. Me Georgel était abattu : il avait demandé l'avis d'un expert de la Faculté, ce qui lui avait été refusé. Le président de la cour lui avait indiqué, en guise de réponse, que des experts étaient mieux placés qu'un professeur pour répondre aux interrogations des jurés. — « Je m'incline... » dit Georgel.

Le réquisitoire de Me Marquet fut marqué par une vive émotion. Il avait le devoir de justice social à remplir et il n'était pas l'avocat de la famille Gaschet, dont l'un des membres leur avait été arraché. Il était l'avocat de tous, l'avocat de la vie humaine, l'avocat de la liberté ! Il termina un dur réquisitoire envers Didier, parlant des soupçons contre lui, des propos que l'accusé avait tenu, et des preuves irréfutables l'accablant, et réclama du jury un verdict sévère.

La plaidoirie de Me Georgel fut tout aussi émouvante, parlant d'un homme dont tout accable, ainsi que l'honorabilité d'une victime, dont le ou les assassins restent inconnus. Il tendit à prouver que les charges contre son client restaient flous, tant l'endroit où il passa la nuit du 5 au 6 mars, qu'aux traces laissées sur la tétière de la serrure et des trous constatés sur le chêne de la porte fracturée. Devant les incidents de la veille, il estimait que la tarière de Didier n'avait pas été formellement identifié comme étant celle qui avait servi à l'effraction. Un incident vint marquer la fin de sa plaidoirie. Alors que Georgel donnait lecture à un rapport rédigé par M. Bellot, charron, qui venait contredire la conclusion des experts, le président lui fit observer que, dans sa conclusion, Georgel avait sauté un mot, et ainsi, la phrase qu'il avait lu avait pris le sens contraire de ce qui était écrit. Me Georgel démentit le non-sens de la phrase : peu importait comment on lisait la phrase, ce rapport venait contredire les charges retenues contre son client !
Vexé, le président appela ledit Bellot à la barre, qui avoua avoir donné à sa phrase, par inadvertance, le sens opposé à ce qu'il voulait donner. — « Je suis charron, je vais vous faire des trous... donnez-moi une planche... », histoire d'avouer que toute cette paperasserie le dépassait. On rit dans la salle. L'avocat de la défense se plaignit du président, menaça de quitter l'audience —  « il s'agit de la tête d'un homme, en ce moment, il ne faut pas l'oublier ! ». Son interlocuteur s'inclina, s'excusant et invitant Me Georgel a continué —  « je suis trop respectueux des droits de la défense pour me permettre de vous interrompre, maître, sans utilité réelle... J'aurais pu bien des fois déjà vous faire quelques petits observations, je m'en suis gardé... Mais ici vraiment, il y avait nécessité, me semble-t-il, à signaler une erreur aussi grossière que celle commise par M. Bellot, L'incident est clos, vous avez la parole ». L'avocat reprit. L'accusé, semblait-il dire, l'était tout au plus par sa réputation de maradeur. Or, jamais pourtant le moindre plainte contre lui fut déposé en gendarmerie. C'est pourtant Me Georgel plaida pour l'acquittement, pur et simple.

Le verdict

Après une demie-heure de délibérations, les jurés apportèrent un verdict affirmatif sur les deux questions principales portées contre l'accusé, avec admissions toutefois de circonstances atténuantes. La cour condamna Didier à 20 ans de travaux forcés. Elle le dispensa toutefois de l'interdiction de séjour.

Didier, Gaschet, et moi !

Auguste Gaschet, victime de ce crime, fils de Jean et d'Adélaïde Aimé, naquit le 7 décembre 1829 à Champagné-Saint-Hilaire. Il avait épousé, le 6 octobre 1852, à Brux, Rosalie Eugénie, née le 15 novembre 1834 à Brux, fille de Pierre François et de Marie-Magdeleine Didier. De leur union, étaient nés :
  1. Philbert Lucien Gaschet, né le 22 août 1853 à Brux, et était receveur d'enregistrement des domaines et du timbre à Goderville, en Seine-Maritime, lorsqu'il épousa, le 6 novembre 1888, à la Chapelle-Bâton, Marie-Justine Desouches. Au moment du crime, il exerçait la même profession à Thouars (Deux-Sèvres) ;
  2. Marie-Eugénie Adélaïde, née le 18 mai 1856 à Brux et morte au même lieu le 16 septembre 1858 ;
  3. Auguste Eugène, né le 12 janvier 1860 à Brux et décédé le 21 janvier 1864 au même lieu ;
  4. Marie-Berthe, née le 22 juillet 1862 à Brux, épousa, le 18 octobre 1886, audit lieu, Auguste Lucquiaud, propriétaire à Sommières, fils de Jacques et d'Alexandrine Touron ;
  5. Pierre Hippolyte Delphin, né le 9 septembre 1869 à Brux, était, en 1906, propriétaire à Neuville-de-Poitou, et fut l'époux de Jeanne Marie Angèle Rachel Brault ;
François Ernest Didier, fils de Louis et de Marie Chassard, naquit le 7 décembre 1873 à Vaux. Il épousa, le 24 octobre 1893, à Brux, Marie-Clémentine Lamy. Au moment du crime, il avait donc 33 ans.

Dans l'immense buisson de la vie, il apparaissait peu probable le fait suivant : à savoir, que les deux victimes, Auguste Gaschet, Rosalie Mironneau, leur agresseur François Ernest Didier, et votre serviteur (moi, hein), sommes liés par un grain du destin, disons plutôt par un ancêtre en commun, François Didier, époux de Perrette Mironneau, dont la descendance se répandit autour de la paroisse puis commune de Vaux. Rosalie Mironneau est même descendante plusieurs fois de cet aïeul commun, dont toute l'histoire n'est cependant pas encore écrite. Un exemple (ci-dessous) vous permettra de vous faire une idée :


Impressionnante ironie du destin !



Sources :

  • La Semaine, 11 & 19 mars, 25 novembre 1906 ;
  • Archives départementales de la Vienne ;

dimanche 6 octobre 2013

La Vienne - 1900-1930 - Mémoires d'hier (Gérard Simmat)

Galerie d'images anciennes par Gérard Simmat, ce recueil décrit le début du XXe siècle dans la Vienne. Chaque image est accompagnée d'un texte explicatif.

De nombreux thèmes sont abordés, comme l'agriculture, les commerces, l'artisanat ou l'industrie. On y trouve également les références de nombreuses communes, dont Savigné.

Un parfait ouvrage pour les amoureux de l'ancien temps.

samedi 5 octobre 2013

Marie Pascault, enfin la filiation ?

Il y a quelques temps, je vous parlai d'un couple d'ancêtres, Jean Tribot, sieur de Laspière, et Marie-Anne Gayet. J'ai passé beaucoup de temps, l'année passée, à construire la filiation du sieur Tribot. Un élément, découvert très récemment, pourrait bien me mettre sur la piste de la dame Gayet.

Pour vous situer, la situation, voilà la filiation qui m'emmène à ce couple :


Jean Tribot et Marie-Anne Gayet furent mariés le 8 novembre 1734 à Payroux (Vienne). Je vous replace le mariage ci-dessous pour le remettre en mémoire :

AD en ligne, Payroux,
BMS - 1717-1738, v.70/98
Maître Jean Tribot de la paroisse de Savigny et demoiselle Marie Anne Gayette fille de Antoine Gayette et de Marie Pascaut ont reçu la bénédiction nuptiale par moy soussigné avec la dispense de deux bans cy attachée et le certificat de mr le curé de Savigné. Les dites cérémonies de nostre sainte église catholique apostolique et romaine gardées et observées, le vingt-quatre novembre mil sept cent trente quatre, en présence de Maître Jean Tribot, père de l'épousé et de maître Antoine Gayette, père de l'épousée, et de damoiselle Adrienne Bomier et de Monsieur Jean Bertran, témoins qui se sont soussignés avec nous, excepté maître Antoine Gayette, père de l'épousée, qui a déclaré ne savoir signer.

Concernant la famille de la mariée, extrêmement peu d'actes la concernent, en voici donc le résumé.

Antoine Gayet est mort le 30 octobre 1767, dans la maison de son petit-fils, le sieur Antoine Tribot, armurier, et fut inhumé le lendemain au cimetière de Saint-Antoine de la paroisse Saint-Didier de Poitiers, à l'âge de 90 ans. Il serait donc né, grossièrement, vers 1677. Il était veuf depuis plusieurs années : en effet, Marie Pascault avait été inhumée le 28 mars 1735, à Payroux, à l'âge de 50 ans.

Je leur ai trouvé deux enfants :
  • mon ancêtre, Marie-Anne, fut baptisée le 5 du mois de mars 1715 à Saint-Martin-l'Ars, en présence de messire Pierre de Laville, curé de Saint-Cyr de la Lalande, et Marie-Anne Tizon, faisant pour Marie-Anne de Vivonne, ses parrain et marraine ;
  • Magdeleine, née et baptisée le 25 mai 1719 à Payroux, en présence d'Alexis Bérault, parrain, et de Marie-Anne Suire, marraine ;
Pour conclure, toujours à rebrousse-temps, Antoine Gayet et Marie Pascault se sont mariés le 20 juin 1714, à Payroux. On se trouva en présence de dame Anne de Lambertye, damoiselle Marie-Anne de Vivonne et damoiselle Marie-Anne Tison, Marie Orlut, et autres... On remarque de plus les signatures de Destouche de Péroux et de Jean Ferrée de Péroux...

AD en ligne, Payroux, BMS - 1708-1717, v.44/55

La première fois que je suis tombé sur ce mariage, j'ai fait "Ouah !"... Regarde-moi ce beau monde !

Plusieurs recherches m'ont été nécessaire pour mettre en scène ces personnages tout droits sortis de chez Angélique. Ceux qui m'ont interpellé sont surtout ceux entrant dans les familles de Vivonne et de Lambertye.

Les de Vivonne était d'une très noble et ancienne maison d'origine chevaleresque, qui a pris ou donné son nom à la petite ville de Vivonne, à 4 lieues de Poitiers. Quelques recherches suggèrent qu'elle se détache, vers l'an 1000, de la puissante famille des de Lusignan. Le premier de Vivonne signalé par le Beauchet-Filleau dans la filiation suivi, Hugues, souscrit dans des chartes de 1076. La branche d'Iteuil, détachée du tronc principal au XVe siècle, nous emmène jusqu'au début du XVIIIe siècle, avec les seigneurs de la Brosse. Elle portait ""d'hermines au chef de gueule".

Grâce aux filiations données dans les différents ouvrages, on peut inscrire les témoins de mon mariage mystère dans le schéma suivant (en orange, les témoins) :


Le Beauchet-Filleau nous donne, page 513 du tome 5, 2e édition, quelques éléments concernant Anne de Lambertye, l'aînée de ces trois témoins. Fille de Jean de Lambertye, chevalier, marquis du Bouchet, seigneur de Lartimache, Puidemeau (La Chapelle Montbrandeix, Haute-Vienne), de la Fougeraye (Poiroux, Vienne), de Saint-Martin-l'Ars et de Bon de Corigné (Saint-Martin-l'Ars), et de Marie du Raynier, elle naquit le 22 novembre 1672 et fut baptisée le même jour que sa soeur Marie, le 10 janvier 1673. S.A.R. Mme de Guise lui avait donné 10.000 livres dont son père disposa par son testament en 1687. Elle épousa, par contrat du 1er mai 1700, François de Vivonne, chevalier, seigneur de la Chataigneraye, fils de Jean, remariée à Marie du Raynier, mère d'Anne, devant Riffault, notaire à Sablé. La cérémonie religieuse eut lieu à Auvers-le-Hamon (Sarthe), célébrée par le curé de Saint-Martin-l'Ars.

Concernant Jean Ferré, le Beauchet-Filleau (2ème édition, tome 3, p.397) précise que ce fils de Jean et de Marie de la Faye (voir à ce propos l'article de LA FAYE de la Groie), seigneur de la Courade, de Payroux, de Chaleur et de Saint-Romain, naquit le 6 juin 1667 à Payroux. Entré au service en 1682 comme cadet gentilhomme dans la compagnie du seigneur de Montault, il s'y distingua et reçut de la main du Roi, en 1688, une épée dont la garde damasquinée en or aux armes de France, portait l'inscription "donnée par le Roi à Péroux". Il fut dès lors titra marquis de Payroux. Protégé par Mme de Maintenon, il obtint une lieutenance en 1689 dans le régiment de dragons de Grammont, et devint capitaine le 21 août 1694 dans les dragons de Frontenay. Fait prisonnier à la bataille de Hochstadt, en 1696, il obtint un sauf-conduit pour venir régler ses affaires personnelles et négocier son échange, ce qui eut lieu peu après. Il épousa, le 29 juillet 1700, à Saint-Sulpice de Paris, Marguerite-Charlotte de Rorthays, fille de Charles, seigneur des Touches, et de Jeanne de l'Espingal de Bretoncourt. C'était une des protégées de Mme de Maintenon, qui fit faire le mariage par M. de Thiberge, son aumônier, et donna à la mariée des bijoux et 6000 livres de cadeaux. Il obtint, le 20 décembre 1713, une pension de 400 livres, puis, le 19 juin 1717, sur les instances de sa femme, une subvention de 5000 livres de Mme de Maintenon, pour remonter ses équipages. Fait Chevalier de Saint-Louis le 21 avril 1719, il devint major des dragons de la Reine le 7 septembre 1723, puis lieutenant colonel au même régiment le 2 janvier 1726, et servit en cette qualité jusqu'au 7 mars 1735. A cette époque, vieux, infirme, ayant 54 ans de service, et fait toutes les campagnes de 1682, il se retira, avec un supplément de pension de 600 livres. Il avait rendu aveu au roi à cause de son château à Civay, de ses terres de Payroux, Chaleur et Saint-Romain, le 21 juillet 1717, et fut maintenu noble par Clairembault le 24 septembre 1700 et par Quentin de Richebourg, intendant du Poitou, le 18 décembre 1715. Jean Ferré mourut le 1er juillet 1744 à Chaleur, et fut inhumé dans l'église de Saint-Romain, le 3 dudit mois.

Marie-Anne Suire, née vers 1677, marraine de Magdeleine Gayet, avait épousé, le 25 mai 1708, à Saint-Savin de Poitiers, Antoine Dubreuil, écuyer, sieur des Ouches, et fut inhumée le 14 décembre 1747 dans l'église de Payroux, à l'âge de 70 ans.

Pierre de Laville, né vers 1658, parrain de mon ancêtre Marie-Anne Gayet, avait été, jusqu'en août 1702, curé de la paroisse de Saint-Martin-l'Ars, fut celui de Saint-Cyr-la-Lande (Deux-Sèvres), où il fut inhumé à l'âge de 61 ans, le 22 août 1719.

C'était tous les éléments que j'avais jusqu'à récemment.



C'est en fouillant il y a peu dans les fonds du notaire Doridan, de Charroux, que je trouvais un acte intitulé contract d'acquisition fait par pierre de Challeroux, et Michel Mauricheau, de marie pascault, du 27 février 1705.


Archives départementales de la Vienne, fond Doridan, 4 E 6 88

La transcription n'est pas mon fort, mais voici ce que le début de cet acte nous dit :
Pardevant les notaires jurés de la ville et baronnie de Charroux soubsignés, en sa personne establye en droits et dhuement soubmise [...] Dame marie pascault, fille maieure et [...] de ses droits, heritire danne Chaulmond sa mere et ayant renonssé a la sucession de feu jacques pascault vivant marchand son pere, demeurant de present en qualité de femme de chambre de la dame de la Chastaigneraye au chasteau de St martin lars paroisse dud lieu, estan de present en cette ville. [...]
Aussi pensez-vous, comme moi, que j'ai mis la main sur la filiation de mon ancêtre ? Qui d'autres qu'une femme de chambre de la "dame de la Châtaigneraie" autrement dit Anne de Lambertye, aurait à son mariage toutes ces personnes de qualité noble ?