AdP 04/10-27/12/1787, v.3
Du 11 octobre 1787
Lettre de M. Piorry, Chirurgien en cette ville, & ancien Chirurgien-major des armées navales du Roi, à un Curé des environs de Civrai
J’ai lu & relu, M., avec le plus grand plaisir vos réflexions sur la mort subite d’un Moissonneur, insérées dans la Feuille du 27 septembre dernier. Il faut avouer que vous n’êtes point un critique sévère, & que vous mettez la personne à qui vous rpondez d’autant plus à son aise, que vous feignez constamment de ne pas connoître les termes équivoques et pompeux, les phrases suivies, les transitions heureuses, &c., &c. Je ne devin pas votre intention : mais au fait, à quoi bon tant de foin ? Ne suffit-il pas qu’on rapporte les choses ? Peu importe comment ; tant pis pour qui ne les entend pas.
Pour moi je conçois fort bien que vous voudriez qu’on vous crût Curé de campagne ; cependant vous n’avez pas de motif pour outrager vos prétendus confrères, en donnant une fausse acceptation à ce titre honorable. Mais il est certains phrases de votre récit, que je ne comprend pas aussi facilement, & dont je vous demanderois l’explication. Par exemple, vous dites « que le Moissonneur mort étoit dans un terrain bas, opposé à un autre terrain, qui présentoit au soleil un côté concave, qui a pu fair el’effet du miroir ardent sur la tête de ce malheureux.»
Vous voulez dire sans doute que le défunt moissonnoit dans une caverne. S’il eut été au pied d’un côteau, vous n’auriez pas écrit, dans un terrain bas, &c. ; mais, sur un terrain bas, dominé d’un côté par une collune demi-circulaire, dont le pied & la cime étoient respectivement distants de tant de toises du point qu’occupoit le Moissonneur : & calculant après les distances respectives, vous auriez donné la hauteur & le degré de déclivité de ce côteau ; le Lecteur s’en seroit formé une juste idée, & malgré cela vous n’eussiez pas été trop curieux & trop minutieux observateur.
Quelque soit le lieu que vous voulez désigner, je ne croyois pas, avant la lecture de votre lettre, que la terre rouge ou noire, & sillonée, pouvoit réfléchir les rayons solaires avec une convergence assez exacte pour leur faire former u centre ou foyer lumineux ; j’avois seulement appris que les surfaces unies, polies, dures, & surtout blanches et brillantes, pouvoient produire la réflexion des rayons solaires, & qu’au contraire les surfaces moins dures, inégales, colorées, & surtout celles qui approchent le plus du noir, absorboient les rayons solaires avec avidité. Au reste on fait journellement des découverts, & qui oseroit contester qu’il ne vous étoit pas réservé, M., de faire connoître un miroir ardent de cette espèce, qui, quoiqu’actuellement sans effet manifeste, pusqu’il n’a aucunement altéré la peau du Moissonneur mort, pourroit avec quelques corrections égaler par sa chaleur celui du jardin de l’Infante.
« La fatigue, dites-vous ensuite, & les rayons du soleil ont pu porter le sang au cerveau, & occasionner une apoplexie. » Et ailleurs : « Le froid ne cause la mort que parce qu’il coagule le sang dans les extrêmités, le retient dans les vaisseaux, empêche la circulation, & fait porter le sang au cerveau. » Selon vous les effets du chaud & du froid, quoique réellement opposés, sembleroient être les mêmes, puisque dans l’une & l’autre circonstance le sang est porté au cerveau. J’examine surtout l’action du froid, qui, en retenant le sang dans les vaisseaux, empêche la circulation, & malgré cela, vous assurez qu’il faut porter le sang au cerveau. Toutes ces idées ne me paroissent pas moins neuves que l’invention de votre miroir ardent, & je ne vous avoue ingénument que je ne les comprends pas. Désespéré de ne pouvoir raisonner comme vous, je me suis rendu compte de la mort du Moissonneur, en l’expliquant d’après les principes reçus. J’ai vu que la cessation ou l’extinction de l’irritabilité & de la sensibilité chez ce malheureux, l’a conduit à la mort ; & je le crois d’autant plus fermement qu’il falloit cette circonstance pour qu’il s’en suivit le gonflement & la prompte putréfaction dont vous parlez : effets que le sang, qui n’est qu’une humeur purement passive, n’auroit jamais pu produire, & qui ne surviennent point à l’apoplexie. Au surplus, vous savez aussi bien que moi, que l’irritabilité & la sensibilité sont les deux principes d’où dépend immédiatement la vie animale, sans parler de l’âme qui nous distingue des brutes.
Forcé de raisonner d’après ces deux principes, puisqu’ils sont aussi évidens que le jour, j’ai reconnu facilement la cause de la mort du Moissonneur en question, & j’ai pensé que, pour expliquer ce phénomène, il étoit inutile de se rappeler qu’en 1709 il tomba plus de pluie en Angleterre qu’en 1714 ; que les cinq huitièmes de nos alimens liquides ou solides se perdent par la transpiration ; que l’espace qu’occupe un gran de sable posé sur la peau, renferme vingt-cinq mille pes, & non pas, comme vous l’avez dit, que nous avons vingt-cinq mille pores qu’occuperoit un grain de sable ; que ce qui se passe sur la Cordelières du Pérou n’a rien de commun avec la mort du Moisonneur. En consultant le point de Physiologie sur l’irritabilité & la sensibilité, vous vous convaincrez vous-même que les vomitifs bien administrés ne sont pas des remèdes qui agitent & échauffent la masse du sang, vous vous apercevrez que leur effet ne se borne pas à une évacuation douce, mais qu’ils dissipent encore les concentrations des forces vitales, qu’ils facilitent leurs égales distributions, en rompant les spasmes, & qu’en un mot ils rétablissent le calme.
Je craindrois d’abuser de votre complaisance & de celle de l’Auteur de cette Feuille, en devenant prolixe : je me réserve, sous son bon plaisir & le vôtre, de vous parler une autre fois de gaz méphytique, dont vous confondez la nature avec celle du gaz inflammable. Je désire que mes réflexions vous prouvent combien je fais cas de vos écrits, & combien je suis jaloux de m’entretenir avec vous & avec l’Auteur de la lettre du 30. août dernier.
J’ai l’honneur d’être, &c.
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