AdP 02/10-25/12/1788, v.5
Du 16 octobre 1788
Lettre d’un
Curé des environs de Civrai
Persuadé, M., qu’en s’occupant d’agriculture, on
devient utile à l’humanité, je me suis toujours fait un vrai plaisir des
nouvelles découvertes que j’ai pu faire en ce genre. Pour l’encourager dans ma
paroisse, je ne cesse de faire l’éloge de mes laboureurs, & de leur
représenter que l’art qu’ils professent est le premier & le plus utile de
tous ; je leur démontre que les plus anciens & les plus grands rois de
l’antiquité se faisoient honneur d’être agriculteurs ; que les anciens
patriarches s’adonnoient tous à ce travail, & que celui qui étoit le plus
capable étoit le plus considéré. Je leur parle de l’hommage que l’empereur de
Chine lui rend tous les ans, en conduisant lui-même la charrue ; je
défirerois enfin pouvoir faire de mes paroissiens des gens instruits & de
vrais agriculteurs ; mais ils sont trop attachés à leurs anciennes
méthodes, & quand une fois ils ont dit : mon père l’a fait, je le ferai, on ne peut les faire changer.
M. ***, près Melle, a pourtant trouvé le moyen de
faire quitter à ses laboureurs l’usage de semer du grain mélangé. Il s’est
transporté sur ses terres à la fin du bail de ses fermiers, & a mis pour
clause essentielle dans le renouvellement de leur ferme, que tout colon qui semeroit du brizeau, méteil, méture & autres
grains mélangés, seroit dans l’instant déchu de sa ferme, sans aucuns dommages
et intérêts. Si tous les propriétaires agissoient ainsi, l’on verroit nos
laboureurs semer le grain pur, & ne pas s’exposer à une perte évidente par
le mélange qu’ils font. En effet, personne n’ignore que tous les grains ne
mûrissent pas à la fois ; si l’on sème de l’orge & du froment
ensemble, l’orge sera mûre longtemps avant le froment ; si l’on attend la
maturité du dernier, tous les grains d’orge seront perdus, il ne restera que la
paille ; si l’on moissonne lorsque l’orge est mûre, le froment ne le sera
pas, alors la perte est réelle. Ainsi, M., d’après ce foible exposé, je pense
comme le seigneur cité ci-dessus, que l’on ne devroit jamais faire aucun
mélange de grain, qu’il faudroit semer chaque espèce particulièrement, &
qu’alors cela procureroit une plus sûre & plus abondante récolte.
Tout Curé de campagne doit être ou est un bon
paysan ; ainsi donc, je vous dirai avec la franchise que ce mot
caractérise, que je crois que l’influence des vents agit beaucoup sur les
semences. Tout le monde sait qu’ils changent la constitution de
l’atmosphère ; que les vents du midi & du nord affectent
singulièrement nos corps. Ainsi, d’après les observations que j’ai faites, je
conclus que celui qui a égard aux vents qui soufflent lors de l’emblavaison,
sera plus favorisé que celui qui n’y fera aucune attention.
J’ai l’honneur d’être, &c.
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