Champmagnan est un petit village qui a la particularité de se trouver sur deux communes et deux départements : Montalembert, dans les Deux-Sèvres, et Saint-Macoux, dans la Vienne. Le recensement de 1876, nous donne la composition du village cette année-là :
Côté Montalembert (79), le village compte 4 feux et 13 habitants :
- Pierre Lucien GUYOT, chef de ménage, cultivateur, 50 ans ;
- Jean GUYOT, chef de ménage, cultivateur, 55 ans, et Françoise MACHET, sa femme, 53 ans ;
- Jean GRANIER, chef de ménage, maçon, 52 ans, Françoise ROUFFIGNAC, sa femme, 48 ans, et ses enfants : Marie, couturière, 21 ans, et Madeleine, 18 ans, Eugénie, 15 ans, et Félix, 13 ans ;
- Joseph GIRARD, chef de ménage, cultivateur, 52 ans, Marie RIVAUD, sa femme, 50 ans, et leurs enfants Clémence, 15 ans, et Jules, 12 ans ;
- Marie MERINNE, journalière, 52 ans ;
- Adèle GUILLAUD, chef de ménage, cultivatrice, 50 ans, et ses enfants : Pierre, 23 ans, Adèle, 12 ans, et Marie, 10 ans ;
- Pierre SICAULT, chef de ménage, cultivateur, 54 ans, Marie FORGUES, sa femme, 41 ans, leur fille Hortense, 6 ans, et leur domestique Marie BARDEAU, 22 ans ;
- Alexandre BÉVIN, chef de ménage, cultivateur, 50 ans, sa femme Marie GUILLAUD, 49 ans, et leurs enfants : Alexandre, 17 ans et Madeleine, 11 ans ;
- Alexis PIARD, chef de ménage, journalier, 49 ans, sa femme Agathe GUILLAUD, 44 ans, leur fils Alexis, 26 ans, et leur bru Marie MICHELET, 20 ans, et leurs autres enfants : Clémentine, 16 ans, Hortense, 5 ans, et Baptiste, 11 ans ;
- Paul SICAULT, chef de ménage, cultivateur, 46 ans, Louis BARDEAU, 39 ans, et Louise PÉRAULT, 25 ans, ses domestiques, qui sont mari et femme, et leurs enfants : Eugénie, 7 ans, Marie, 5 ans, Isabelle, 4 ans et Louise, 1 an ;
- François BROTHIER, chef de ménage, garde-champêtre, 64 ans, et sa fille Marie, 31 ans ;
- Françoise JANNOT, chef de ménage, cultivatrice, 64 ans, et son fils Jean DROUHET, 23 ans ;
- Jean MIRONNEAU, chef de ménage, cultivateur, 63 ans, et sa femme Marie BRISSOLET, 54 ans ;
Le 29 mars 1876, dans la soirée, un incendie se déclare dans une grange appartenant à Pierre Lucien GUYOT, propriétaire et cultivateur à Champmagnan, côté Montalembert (79). Grâce à la hâte des secours, le feu s'éteint rapidement, et il s'avère, même s'il n'a pas occasionné d'importants dégâts, qu'il soit manifestement d'origine criminelle. Le lendemain matin, le maire de Montalembert passe faire un constat et même un état des lieux est fait.
L'incendie du 30 mars 1876 :
Ce 30 mars, entre dix heures et onze heures, le sieur DROUHET, de ce même village, côté Saint-Macoux (86), étant sorti un instant de chez lui, aperçoit que la toiture de sa grange, située à 10 m de sa maison, est en feu. Les voisins accourent à ses cris, et on se rend bientôt maître des flammes, qui ne causent qu'un préjudice mineur (à peu près 500 à 600 francs). Rien n'est assuré.
Parmi les volontaires venus aider DROUHET, se trouve Paul SICAULT, riche propriétaire, dont l'aisance est notoire, qui habite à l'autre extrémité du village. En retournant chez lui, il est prévenu par un domestique qu'un malfrat se cache dans l'enclos attenant à sa maison. Il aperçoit alors à la porte de sa maison, où il n'avait laissé que ses enfants en bas âge, un triste sire qu'il a rencontré dix ans auparavant : Pierre CHEVAUX. Le voleur prend la fuite. SICAULT prend son fusil, appelle au secours et on ne tarde pas à s'empare du malfaiteur, au pied d'une haute haie qu'il ne peut franchir. C'est la fin de la course pour CHEVAUX, qui a espéré en vain gagner les bois voisins et se soustraire à ses poursuivants.
L'incendie de la veille, on le comprend vite, a été un leurre pour attirer SICAULT hors de chez lui. Il comptait profiter de la préoccupation générale pour s'introduire chez le riche propriétaire. Mais ce dernier, n'ayant pas eu vent de cet incendie, n'était pas sorti de chez lui. CHEVAUX avait donc eu recours à un second subterfuge, qui a failli réussir. Bien sûr, il nie complètement les faits qui lui sont reprochés. Le voleur est fouillé, et on trouve sur lui une tête de marteau en fer ainsi qu'une courroie en cuir, que le sieur DROUHET reconnaît être les siennes : il avait notamment laissé la courroie sur une charrette, dans sa grange, juste avant l'incendie.
Il est notoirement connu que CHEVAUX, habitant à Ruffec (16), est sous le coup d'une surveillance permanente. Aucune cause plausible n'est susceptible d'expliquer sa présence à Saint-Macoux (86). On reconnaît qu'il a quitté Ruffec le 26 mars et s'est réfugié dans un bâtiment inhabité, appartenant à sa famille, dans le village de Lapiteau, commune de Saint-Macoux. Il ne peut expliquer ce qu'il a fait entre le 26 et le 29, entendu que personne ne l'a aperçu. D'ailleurs, dira-t-on, depuis peu, il ne savait plus où il était et l'on pouvait le considérer comme dépourvu de ses facultés intellectuelles !
Pierre CHEVAUX est traduit devant la justice. Il passe en audience devant la Cour d'Assises de la Vienne, pour la seconde fois, le 24 mai 1876. Le nombre de témoins lors du procès est impressionnant, vu la faible gravité des actes, 18 témoins dont 8 habitants de Champmagnan et 3 gendarmes.
Aux questions posées...
Journal de la Vienne, 27 mai 1876 |
- Chevaux Pierre, accusé, est-il coupable d'avoir, le 29 mars 1876, sur le territoire de la commune de Montalembert (Deux-Sèvres), volontairement mis le feu à une grange appartenant au sieur Guot Pierre ?
- Chevaux Pierre, accusé, est-il coupable d'avoir, le 30 mars 1876, sur le territoire de la commune de Saint-Macoux (Vienne), volontairement mis le feu à un bâtiment appartenant au sieur Drouet ?
- Chevaux Pierre, accusé, est-il coupable d'avoir, le 30 mars 1876, sur le territoire de la commune de Saint-Macoux (Vienne), frauduleusement une courroie en cuir et une tête de marteau en fer au préjudice du sieur Drouet ?
... le jury répondra d'une manière écrasante : Oui à la majorité !
Devant les faits accomplis et son passé judiciaire loin d'être vierge, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Il interjette appel peu après. Par décision du 22 juin 1876, la Cour de Cassation, tenue au Palais Royal à Paris, rejette le pourvoi formé par CHEVAUX contre son arrêt du 24 mai.
La fin du voyage :
Écroué au dépôt le 20 juillet 1876, il est déporté au bagne de la Nouvelle-Calédonie, sous le numéro matricule 8788. Son arrivée, à l'autre bout du monde, est indiquée par un tampon en date du 27 décembre de la même année. Sans profession, l'homme sait lire et écrire.
Durant sa détention, il semble ne pas se faire distinguer et apprend le métier de tailleur d'habits.
A 45 ans, il arrive à la fin de son voyage : son dossier de bagne indique qu'il meurt le 10 mai 1878 à l'île de Nou, d'un cancer de l'estomac.
Sources :
- Journaux d'époque ;
- Archives départementales de la Vienne ;
- Dossier de bagne de Pierre Chevaux, aimablement transmis par Évelyne ;
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