La rue René Descartes, à Poitiers, autrefois appelée la rue de la Prévôté, présente au n°14 un ancien hôtel particulier, comme il en existait autrefois. C'est là que voit le jour Louis-François Clergeau, en 1764. Véritable aventurier, celui-ci partit pour les Grandes Indes en 1788 : il passe en Malador, à travers les Etats du Mogol, voyage en Chine, en Perse, en Khorassan, visite Babylone, Alexandrie, Athènes, Constantinople. Il se voit conférer par l'Impératrice Catherine II le grade de major russe, parcourt l'Allemagne, la Suisse, le Danemark et l'Angleterre... 8 ans plus tard, celui-ci rentre à Poitiers et découvre les ravages de la guillotine.
Début de l'année 1793. Au n°14, rue de la Prévôté, vit Marie-Victoire Clergeau, née Conneau, 53 ans. Son mari, Michel François Clergeau, ancien officier d'artillerie originaire de Rochefort (17), est mort depuis 1776. Elle vit avec son frère, Charles Célestin Conneau, dit Desfontaines, 51 ans, ancien procureur au présidial de Poitiers, désormais procureur de la Commune de Poitiers, et son fils, Jean, qui dirige l'exploitation agricole de la seigneurie de Goupillon, à Vivonne (86).
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AD en ligne, Poitiers, paroisse Saint-Cybard,
BMS - 1736-1743, v.91/103
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Le jeune Jean Clergeau, 26 ans, avait épousé Marie-Rose Prieur-Chauveau, fille et soeur d'avocats, qui lui a donné un fils, Célestin Ferdinand, en octobre 1792. En cette année 1793, il est avoué. S'il n'attire pas l'attention du public, il n'en reste pas moins à la disposition du Comité de département pour ses oeuvres utiles.
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AD en ligne, Poitiers, paroisse Saint-Cybard,
BMS - 1767-1773, v.8/103
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Il a pour amis intimes des républicains de son âge, tel son beau-frère, Félix Prieur-Chauveau, le principal du collège Sabourin, et un ex-bénédictin originaire de Loudun (86), Tabart-Mazières, qui a depuis peu fondé un journal local : la Correspondance du Département de la Vienne.
Félix Chauveau, lui, s'est fait une réputation de poète, d'écrivain et d'orateur. Cet ardent jeune homme applaudit la condamnation de Louis XVI, dont il en fait un tyran. Il prononça l'éloge suprême à l'enterrement de Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, conventionnel qui, ayant voté la mort du Roi, fut assassiné par le garde-du-corps de Pâris. Chauveau est marié à une demoiselle Duval qui, avec lui, paraissait dans les fêtes civiques et aux séances de la Société populaire. Félix Chauveau n'attirait pas que le regard des jeunes. Son oncle Félix Faulcon dira de lui : "Je l'avais formé, il préférait ma société aux plaisirs plus séduisants de son âge ; tout ce que j'aimais il aimait : la musique, la lecture, la poésie. Il avait un zèle ardent pour la Liberté."
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AD en ligne, Poitiers, paroisse Saint-Étienne,
BMS - 1760-1769, v.72/73
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Armand Sabourin, lui, est originaire de Thouars, où il est né le 3 mars 1770, fils de Jean Sabourin, marchand de draps et de Magdeleine Frogier. Professeur de philosophie, il exerce les fonctions de principal au collège, même s'il n'en a pas le titre. Il publie une lettre, dans le Journal du département de la Vienne, édition du 29 octobre 1792 :
"Citoyen, j'ai souvent eu occasion de remarquer que la plupart des écoliers externes de notre collège n'y faisoient rien ou n'y faisoient que peu de chose. Je l'attribue aux objets de dissipation qui s'offrent sans règle comme sans cesse à leur rencontre. Pour remédier, autant qu'il est en moi, à cet inconvénient, je vous pris d'annoncer à nos concitoyens que je ferai avec eux tels arrangements qu'il appartiendra pour faire participer leurs enfants au régime intérieur de notre maison, tant en ce qui regarde les récréations honnêtes que les nouveaux moyens d'instruction que je me propose d'introduire, & notamment pour l'écriture & les premiers éléments de la grammaire."
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AD en ligne, Thouars, paroisse Saint-Médard,
BMS - 1769-1778, v.17/131
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Claude Henry Tabart-Mazières naît à Loudun le 16 décembre 1767. Il est le fils de Claude Tabart, sieur de Mazières, huissier audiencier au baillage de Loudun, et de Marie-Magdeleine Bernier. Ex-bénédictin, Tabart-Mazières est à l'origine un des plus remuants de la Société populaire de Poitiers.
En 1790, il fonde à Loudun une société jacobine correspondant avec celle de Paris. Tous les dimanches, il faisait des conférences sur les droits de l'homme, et se targue d'avoir, par "vingt lettres écrites de sa main", fait arrêter des conspirateurs et des prêtres insermentés. En 1791, à Paris, il tient au courant les gens de Loudun lors de la fuite de Varennes.
Peu après, Tabart-Mazières vient s'installer à Poitiers pour lancer la Correspondance de la Vienne, dans lequel écrivaient avec lui Félix Chauveau, Sabourin ou bien Jouineau-Desloges, ancien rédacteur des Affiches du Poitou : cette feuille a pour but de mettre les gens des campagnes au courant de toutes choses.
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AD en ligne, Loudun, paroisse Saint-Pierre-du-Marché,
BMS - 1763-1767, v.134/142
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A cette société républicaine, il nous faut y rattacher Pierre François Gabriel Guillot, un breton (il est né à Saint-Servan, ancienne commune rattachée à Saint-Malo, en Ile-et-Vilaine, le 11 juillet 1764). Cousin issu de germain de Jean Clergeau, celui-ci est le fils d'un commissaire de la marine de Saint-Malo, devenu commissaire civil en Guyanne.
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AD en ligne, Saint-Servan, BMS - 1764, v.40/67
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Avocat au parlement de Paris, Guillot devait remplir les fonctions de commissaire adjoint, aux côtés de son père, et se rendant à Bordeaux pour l'embarquement, il s'arrêta en octobre 1792 chez la veuve de son oncle "à la mode de Bretagne". Il fut reçu à bras ouvert. N'ayant pas trouvé de bateau à Bordeaux, il repart sur Paris, mais se retrouve fort malade en arrivant à Poitiers en novembre. Soigné, de retour dans la capitale, il s'ennuie de l'ambiance poitevine et décide de venir s'installer à Poitiers.
Dès janvier 1793, il reparaît chez Mme Clergeau. Conneau-Desfontaines, grâce à ses relations, avait trouvé une pension chez M. Crémière. Cependant, dès leur première rencontre, Guillot et Tabart-Mazières se prirent en amitié et le nouveau venu décida de s'installer chez le sieur Sabourin, hôte du jeune ex-bénédictin. Le principal du Collège se prête à la combinaison.
Ces jeunes gens n'auront-ils pas sous la main la tribune et la bibliothèque ?
Le 21 janvier 1793, Guillot soumet à la société tout un plan tendant à organiser à Poitiers la "bienfaisance publique" : il s'agira pour lui de diviser la ville en six sections, chacune administrée par un bureau. Des délégués des bureaux constitueront une sorte de Comité central, où siège le maire et éventuellement l'évêque ou le curé. Chaque bureau compterait un président, vice-président, secrétaire et trésorier, ainsi que des commissaires distribuant de la filasse, du coton, ou de la laine aux femmes sans travail. On assistera les femmes en couches, on soignera les malades. Le projet de Guillot connaît un grand enthousiasme, car on sent chez lui cette vague patriotique qui "respire la candeur républicaine". Galant avec les dames, on ne tarde pas à évoquer le mariage : or, le beau-père de Félix Chauveau, l'avocat Duval, a encore deux filles à marier. Mme Clergeau, proche de la famille Duval, entreprend de décider de fiançailles avec l'une de ces filles, fort appréciée par Guillot.
Le destin en décide autrement : le 20 mars 1793, le jeune homme, accompagné par son fidèle ami Tabart-Mazières, fait parti d'une troupe d'hommes partant pour la Vendée. Conneau-Desfontaines fait mettre à sa disposition un habit de garde national et un cheval. Mme Clergeau avance un peu d'argent et Mme Chauveau lui prêtre le sabre de son mari absent.
Dans le journal de Tabart-Mazières, paraît alors des articles concernant cette épopée, l'information étant directement relayée par le jeune ex-bénédictin :
"20 mars : il est parti ce matin un détachement composé de 200 hommes d'infanterie, 100 de cavalerie, 8 artilleurs, avec 4 canons de campagne. Sa première destination étoit pour Thouars ; mais, d'après la nouvelle, reçue deux heures après son départ, qu'on avoit délogé les brigands des environs de Vihiers, le département lui a envoyé contre-ordre, pour se porter du côté de Montreuil-Bellay, où il doit se joindre à nos frères de Saumur, d'Angers, etc... Les opérations du nouveau comité central de surveillance sont dans la plus grande activité. Nous rendrons compte des résultats qui viendront à notre connoissance."
"du 24, un courrier annonce un échec qu'ont reçu les brigands ; 1200 sont conduits prisonniers à Nantes. Ces scélérats commencent à être connus. On a surpris une correspondance qui donnera des renseignements précieux. 23 bataillons, 2 régimens de cavalerie, 53 pièces de campagne, marchent contre eux, sous les ordres du général Labourdonnaye."
Un mois plus tard, Guillot écrit à Mme Clergeau, se plaignant du mauvais temps, du rude métier de la guerre. Après un bal donné aux dames d'Airvault (79), le 27 avril, la troupe se rend à Thouars, et Guillot et Tarbart-Mazières tombent aux mains de l'ennemi le 5 mai.
Sources : Le procès des Cinq, par Henri Carré, 1934. La préparation de la guerre de Vendée, par Charles-Louis Chassin, 1892.