lundi 30 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (7) - 2e


AdP 05/07-27/09/1787, v.17
Du 30 Août 1787

Lettre de M. LEMIT, ancien Élève de l’École royale-pratique de Chirurgie de Paris, & Maître en Chirurgie en cette ville, au Rédateur des Affiches
                                   
Monsieur, la mort subite de plusieurs Moissonneurs, arrivés dans les chaleurs excessives que l’on vient d’éprouver, le peu de secours qu’on leur a portés, la facilité qu’il y a de le faire, une presque certitude de les rappeller à la vie avec un peu de soins, me portent à croire que c’est faute d’instructions & de savoir la manière de s’y prendre dans les personnes qui les entouroient, s’ils ont perdu la vie. J’ai cru pouvoir être utile, en indiquant dans votre Feuille, aux personnes charitables & à portée d’obvier à ce malheur, les moyens les plus simples d’y parvenir. Trop heureux si je réussis par là à ranimer la commisération & une tendre charité envers des malheureux qui, pour rouvrir les yeux à la lumière, n’attendent que la main secourable de ceux en faveur de qui souvent ils se sont exposés à la perdre.
Parmi les causes qui produisent l’asphyxie chez les habitants de la campagne, ces quatre sont les plus communes : la trop grande chaleur, les vapeurs vineuses, celles du charbon, & le froid excessif. Le traitement des trois premières étant le même, je prendrai pour exemple celle de la vapeur vineuse, comme la plus prochaine : traitement que l’on pourra également appliquer aux deux autres. Je tracerai celui de l’asphyxie produite par le froid, dans une autre lettre.
Lorsqu’une personne aura le malheur d’être surprise des vapeurs vineuses, comme cela est arrivé il y a quelques années à Salvert, on doit la retirer le plus promptement possible de l’endroit où elle aura été asphyxiée. Comme il est dangereux de s’exposer sans préalablement renouveler l’air, on le doit faire en occasionnant un courant d’air, & on descendra dans le tonneau ou cuve un grand brasier de charbon bien allumé, ou, à son défaut, un feu de sarmens bien secs ; on répandra ensuite de l’eau froide aux environs de la cuve, & même dedans. Ces précautions prises, on peut y descendre avec moins de danger, ayant l’attention de tenir la tête toujours bien élevée. On connoît que l’air est renouvelé, lorsqu’en y plongeant une chandelle allumée, elle s’y maintient jusq’uau fond sans paroître vouloir s’éteindre.
L’asphyxié une fois retiré de la cuve ou autre endroit méphytisé, il faut l’en éloigner le plus que vous pourrez, le mettre nud, le laver avec de l’eau & du vinaigre, l’asseoir sur une chaise en plein air, la tête soutenue dans sa position naturelle ; l’envelopper d’un drap fixé sous le menton, & puis jeter, sans discontinuer, de l’eau fraîche à plein verre sur tout son corps, & particulièrement sur le visage & sous le nez, jusqu’à ce que vous apperceviez quelques signes de vie, qui n’arrivent quelquefois qu’après plusieurs heures. Ces signes sont le hoquet, le serrement & sifflement des narines, les machoires fortement appliquées l’une contre l’autre, un vomissement de glaires épaisses & écumeuses, lequel est suivi plus ou moins tard d’un tremblement universel qui annonce le retour de la respiration. Vous saisirez avec empressement l’occasion où le malade aura la bouche ouverte, pour placer entre ses dents des petits coins ou morceaux de bois, afin d’empêcher le resserrement subit des machoires, & faciliter le moyen de mettre quelques grains de sel de cuisine sur la langue. Vous introduirez ensuite quelques eaux pénétrantes dans le nez, telles qu’alkali voilatif, eau des Carmes ; ou, à leur défaut, vous ferez brûler de la corne ou un plumail sous le nez. Cela fait le plus promptement possibvle, vous reprendrez la projection de l’eau froide au visage, jusqu’à ce que le malade ait donné des signes de connoissance plus sensibles. Pour lors il se plaint d’une douleur à la nuque, d’un tressaillement de cœur, d’un rand froid qui bientôt est remplacé par la chaleur, l’assouplissement, la foiblesse & l’accablement de tout le corps. A mesure que la connoissance se fortifie, transportez le malade dans un lit légèrement bassiné, placé dans une chambre aérée. Essuyez-le fortement avec des linges chauds ; après quoi donnez lui quelques cuillerées de la potion suivante.
Prenez, eau de vie, six cuillerées à bouche ;
alcali volatil, trente gouttes ; ou, à son défaut, eau de mélisse ou eau des Carmes, deux cuillerées.
Donnez de cette potion par demi-cuillerée, de quart d’heure en quart d’heure.
Si la respiration est laborieuse & se fait avec râlement, le pouls plein, dur & fréquent, & que le malade rende le sang par le nez ou la bouche ; qu’enfin il ait reçu quelque contusion, on pourra le saigner du bras, & jamais du pied ni du cou, parce qu’on le regarde comme malade & non comme asphyxié : car il n’est point de remède qu’on ait employé contre l’asphyxie de plus dangereux & même de plus mortel que la saignée. C’est ainsi qu’en a décidé l’Académie des Sciences, dans son dernier rapport, & l’expérience ne l’a que trop prouvé. Il n’en est pas de même des purgatifs ; la nature y invite presque toujours par un léger dévoiement : la potion suivante, plus ou moins répétée, est ce qui convient.
Prenez deux onces de tamarin, que vous ferez bouillir légèrement dans une pinte d’eau ; faites infuser pendant la nuit deux gros de séné mondé, une once de sil d’ipsum ; passez & ajoutez à la colature un grain d’émétique.
Donnez une verrée de cette boisson toutes les heures. Mais si la déglutition ne peut se faire, on insistera sur les lavemens purgatifs, faits avec :
séné, deux gros ;
cristal minéral, un gros ;
miel, une cuillerée.
On usera de ces lavemens jusqu’à ce que la déglutition soit rétablie, & alors on donnera la potion purgative ci-dessus. Pour boisson ordinaire, on donnera l’oscicrat, c’est-à-dire un mélange d’eau & de vinaigre jusqu’à agréable acidile. On pourra même lui en donner des lavemens.
Il arrive très souvent que l’asphyxié est tourmenté d’un mal de tête si violent qu’il en extravague. Comme ce mal n’est qu’extérieur, on l’apaise par des nutrocations d’oxcicrat, ou d’un cataplasme de mie de pain, appliqué sur la tête. Alors on doit purger plus efficacement.
J’ai l’honneur d’être, &c.

samedi 21 avril 2012

Je cousine avec Lina Cavalieri : contre-enquête




Une petite légende familiale place Lina Cavalieri parmi mes cousins célèbres.
Qui était-elle ?  Natalina dit Lina Cavalieri est une soprano, née le 25 décembre 1874 à Viterbe (Italie). Débutant dans le vaudeville et chantant dans des cafés-concerts, elle se fait remarquer par ses prestations aux Folies Bergères. Lors d’une tournée en Russie, elle rencontre et épouse le prince Bariatinsky, qui la convainc de se produire sur les scènes lyriques. Elle débute à l’opéra dans La Bohème (rôle de Mimi), puis chante à Paris et au Met dans l’opéra de Giordano, Fedora avec comme partenaire Enrico Caruso. Divorcée, elle épouse, en 1908, le millionnaire Robert Winthrop Chanler, mais ils se séparent au bout d’une semaine. L’évènement fait scandale et est à l’origine de la rupture de son contrat avec le Met.
Entre 1914 et 1921, elle s’essaie au cinéma à Hollywood, sans grand succès. Elle épouse en 1913 le ténor français Lucien Muratore dont elle se séparera en 1919. En 1926, elle fait ses adieux à la scène et ouvre un institut de beauté à Paris. Sa notoriété sera nationale, voire mondiale, et la publicité faite sur son salon de beauté sera universelle.
Elle meurt avec son quatrième mari dans le bombardement de Florence le 8 février 1944.



Valentine Favars :

D'après la légende de ma famille, donc, Lina Cavalieri s’appellerait en réalité Valentine Favars. Fille de Louis Favard et nièce de mon aïeule Mariette Favard, ayant pour frères Paul et Ludovic et pour soeur Marie, elle se serait enfuie à 17 ans de chez elle pour tenter sa chance à Paris.
Rencontrant son prince charmant russe dans la capitale, elle se fait passer pour une orpheline italienne. Valentine Favars disparaît, au profit de la Cavalieri, connue comme l'un des plus belles femmes du monde au début du XXème siècle.
A la base, cette histoire me fascinait. La connaissant depuis que je suis adolescent, cette histoire m'est longtemps restée comme acquise. Après quelques années de pratiques généalogiques, je me suis dit : « Bon, allez ! Faut justifier tout ça ! »


Contre-enquête :



Tout commence par mon aïeule Marie Favard, dite Mariette. Ses parents, Jean-Louis Favard (1813-1861) et Louise Barbier (1816-?), se sont mariés le 16 avril 1839 à Persac (Vienne). D'après le raisonnement familial, l'un de leur fils serait le père de la Cavalieri. Je leur ai donc trouvé les enfants suivants :

  1. Jean-Louis, né le 17 mars 1839 à Persac, décédé le 21 février 1841 au même lieu ;
  2. Marie-Louise, née le 10 février 1841 à Persac, décédée célibataire le 26 mai 1885 au même lieu ;
  3. Anne, née le 31 janvier 1843 et décédée le 4 avril 1847 à Persac ;
  4. Julie Victorine, née le 5 juillet 1845 à Persac, qui épouse au même lieu Jacques Chéri Jolly, le 6 novembre 1861. Je leur trouve au moins 4 enfants : Louis Victor (né en 1861), Pauline (née en 1864), Marie Élisabeth (née en 1868) et Edmond (né vers 1879) ;
  5. Marie, dite Mariette, mon aïeule, née le 17 mai 1849 à Persac et décédée le 8 février 1933 à Saint-Martin-l'Ars (Vienne). Elle fut l'épouse d'Hyppolite-Jean Guyonnet (1840-1917), épousé le 4 mars 1867 à Persac. Ce sont leurs enfants qui constituent le point de base de la Cousinade Guyonnet, à laquelle j'appartiens ;
  6. Louis, né le 3 mai et décédé le 19 juin 1851, à Persac ;
  7. un autre Louis, né le 13 juin 1852 à Persac et décédé le 9 mars 1931 au même lieu ;
  8. et enfin Augustin, né le 2 novembre 1855 à Persac et mort au même lieu le 5 novembre 1884.

En conservant l'idée de principe de la famille, le Louis Favard, né en 1852, paraissait être le meilleur candidat pour être le père de la Cavalieri. C'est donc sur lui que j'ai reporté mes recherches. Les registres d'état civil, disponibles sur internet, m'ont grandement aidé par la suite...
Nous retrouvons Louis Favard, épousant le 13 janvier 1878, toujours à Persac, Marie-Augustine Jalladeau, née en 1857. Je leur trouve quatre enfants, tous nés à Persac :
  • Pauline Augustine, née le 28 novembre 1878. Son acte de naissance mentionne en marge son décès à Paris, 12ème arrondissement, le 6 février 1961 ;
  • Louis Auguste Chéri, né le 26 août 1880, mort à Mâcon le 20 août 1902, alors qu'il sert comme soldat au 134ème Régiment d'Infanterie, dans la 5ème compagnie ;
  • Marie Joséphine Élisabeth, née le 28 mai 1882 et décédée le 14 avril 1963 à Usson-du-Poitou. De par la mention en marge, on sait qu'elle épouse Eugène Auger le 7 octobre 1935 dans ce même village d'Usson ;
  • et enfin Paul Marie, né le 3 décembre 1884 et mort le 28 octobre 1959 à Argenteuil. Il s'est marié deux fois : avec Marie-Louise Thérèse Barra le 21 avril 1908, à Persac, puis avec Marie Mathilde Louise Dondin, le 31 juillet 1920 à Paris, 4ème arrondissement.

A partir de là, je me suis aperçu que j'avais presque la réponse à ce que je connaissais de Valentine Favard : un frère Paul et une soeur Marie. Il ne me manquait plus que le frère Ludovic, que je trouvais en me rendant directement à la mairie de Persac : né Raymond Ludovic Favars, sur la commune de Coupvray (Seine-et-Marne) et mort à la Grande Guerre le 16 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (inscrit par transcription d'acte en mairie de Persac).
Du coup, la première fille du couple, Pauline Augustine, devenait pour moi celle que l'on prenait pour la Cavalieri. Un coup d'oeil aux registres de recensement me confirma un certain détail, à savoir qu'on nommait cette fille aînée "Valentine" dans la vie de tous les jours :

Détail du recensement 1886 à Persac (Vienne)
On notera l'absence de la famille aux recensements de 1891 et de 1896 (déplacement probable du foyer en Seine-et-Marne), puis en 1901, on la retrouve de nouveau, diminuée de quelques-uns de ces membres :

Détail du recensement 1901 à Persac (Vienne)
J'avais pris l'habitude, lorsque j'avais un décès sur Paris en marge d'un acte de naissance, de commander un extrait sur le site en ligne de la ville de Paris. L'acte de décès de Pauline Augustine Favars me parvint peu de temps après. Pour moi, il était éloquent :


J'étais à même de reconstruire de manière sensée les évènements : Marie Jalladeau, la mère, décède probablement en Seine-et-Marne. Pauline, adolescente, s'enfuit du foyer familial pour tenter sa chance sur Paris, et rencontre/épouse un riche homme d'affaire russe, Constantin de Racouza-Soustchevki. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'éléments sur ce monsieur, qui a été un haut responsable dans la compagnie des Frères Schneider, entreprise de métallurgie basée au Creusot (Saône-et-Loire). Je note au passage que Louis Auguste Chéri Favars est mort à Mâcon, préfecture de la Saône-et-Loire.
Cette contre-enquête m'amena à ce point. L'existence des deux mariages, Lina Cavalieri et le prince Bariatinsky, Valentine Favars et de Racouza-Soustchevki, sans doute contemporains, amena probablement la confusion entre les deux femmes.

Extrait du Petit Parisien, 24 avril 1929
Sources :
  • Fiche de Lina Cavalieri sur Wikipedia,
  • Articles du Petit Parisien, 1929 & 1930,
  • Archives départementales de la Vienne en ligne.


jeudi 19 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (7) - 1e


AdP 05/07-27/09/1787, v.15
 Du 23 Août 1787

Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

Le 8 de ce mois, M., il est arrivé dans ma paroisse un évènement très alarmant.
A deux heures après-midi, on vint à la hâte me prier d’aller dans un champ absoudre & administrer un Moissonneur que la chaleur avoit jeté dans un état mortel.
Je courus & trouvai un jeune homme de vingt-cinq ans, avec un visage livide, les yeux ouverts & gonflés, le nez plein de mucus, une respiration profonde, gênée & très laborieuse ; les veines & artères paroissoient gorgées de sang bouillonnant : enfin, cette malheureuse victime m’allarma, & je n’eux que le temps de l’absoudre & de lui administrer l’extrême-onction, qu’il décéda.
Cette mort subite fit beaucoup de bruit dans ma paroisse, & le soir même je vis arriver un vieillard, qui me tint ce langage : Si j’avois été avec ce jeune homme, il ne seroit pas mort.
Ce propos m’étonna, & excita ma curiosité. Voici sa réponse.
Hier, me dit-il, mon domestique ne put résister à la grande chaleur ; il tomba dans un sillon : je courus à lui, je le trouvai sans connoissance ; son sang bouilloit ; il lui sortoit beaucoup de morve du nez. Je le fis porter à l’ombre, & l’appuyai sur des gerbes ; je pris ma buire (*), & lui lavai le haut de la tête. Peu de temps après, mon malade reprit connoissance, & me fit connoître le bien que lui procuroit mon eau. J’épuisai tous les vases que nous avions portés dans les champs ; il revint très bien ; & je suis sûr, ajouta le vieillard, que si on avoit employé le même remède, on auroit sauvé le Moissonneur qui a péri devant vous. L’expérience m’a prouvé souvent que c’étoit là le remède le plus prompt & le plus sûr.
On vient encore de m’assurer qu’il étoit mort au milieu des champs deux Moissonneurs dans deux paroisses voisines.
Voilà plusieurs jours qu’à midi précis le thermomètre de M. de Réaumur est monté au 32e degré.
Les malades se multiplient ; & comme quelques succès me rendent souvent Médecin malgré moi, au moindre mal je suis appellé par mes paroissiens. Depuis huit jours, j’ai guéri plusieurs Moissonneurs avec un remède très simple & naturel. Aussitôt que je suis arrivé chez mon malade, je fais remplir un chaudron d’eau très peu tiède. Je fais laver mon malade depuis la tête jusqu’aux pieds ; je lui fais frotter la peau, & le fais placer dans son lit. Après soleil couché, je favorise la transpiration, & guéris mes malades.
Comme l’on m’a assuré que ma lettre sur votre Jardin botanique n’a pas plu à MM. Les Épiciers & Droguistes, ils adopteront peut-être encore moins ce remède qui est plus commun que les herbes dont je fais usage : mais je laisse le champ libre à l’opinion, sans en craindre la discussion. On me fait souvent le reproche d’aimer les paysans jusqu’à m’abaisser à leur donner moi-même des lavemens : mais ces reproches ne m’affectent point. Si je montre à mes paroissiens ma sensibilité, je suis sûr de leur confiance : il me seroit trop long d’analyser combien cette confiance me fait connoître leurs mœurs et leurs caractères, & combien la religion y trouve son avantage.
Il est bon de détruire des erreurs accréditées même par le témoignage des nations & des siècles ; mais on ne droit pas rejeter trop légèrement des opinions qui, au premier coup d’œil, paroissent absurdes, puisque le temps & le hasard en justifient tous les jours la vérité.
Je peux dire qu’on s’instruit souvent beaucoup mieux avec un bon Laboureur qu’avec des traités d’Agriculture ; & si le langage du vieillard de ma paroisse m’a donné une leçon plus sûre que tous les ouvrages d’Hippocrate, j’apprends de même tous les jours qu’il faut souvent garder l’équilibre du doute, & balancer les moyens.
J’ai l’honneur d’être, &c.

(*) Vase de terre où l’on met l’eau des Moissonneurs

lundi 16 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (6)


AdP 05/07-27/09/1787, v.3
Du 12 juillet 1787

Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à un de ses amis

Je vous remercie, mon ami, de votre lettre, qui m’apprend l’heureux dessin d’un jardin de Botanique ; je voudrois que tout le monde aimât les herbes & les bois comme moi ; l’on verroit bientôt la Botanique devenir un amusement, & l’objet de l’attention générale. Il ne faut, pour en montrer l’utilité & la nécessité, que réfléchir sur les tromperies, les brigandages & le charlatanisme des Droguistes & Épiciers étrangers. Il semble que les remèdes étrangers ne doivent plus répondre aux espérances de nos Médecins : tout devient douteux & suspect ; on imite la couleur, on communique l’odeur : les Droguistes ont une main divine, qui colore l’ipecacuanha, la manne, la rhubarbe & le quinquina, quoique même tous ces remèdes seroient pourris, rances & moisis. On doit frémir quand on sait qu’il se vend quatre cent fois plus de quinquina en France, que l’Amérique n’en peut fournir. On ne doute plus par expérience qu’il se débite mille fois plus de manne, que la Calabre & la Sicile n’en peuvent produire. On est sûr, d’après l’aveu des Négocians même, que la salsepareille & autres remèdes du Pérou & du Brésil, sont très communs chez les Apothicaires François, mais très rares en France. Il est encore certain que les baumes de Giléad & de Copahu sont tirés avec une petite inscription, mise seulement sur une petite bouteille. Ce qui est effrayant, & ce qui devroit faire triompher nos plantes indigènes, c’est que l’opium, le mercure et l’antimoine n’ont pas par tout une propriété égale ; la méthode de préparer ces remèdes est devenue très arbitraire, la balance ne peut plus rien régler sur les doses. Je frémis encore de vous dire que le vert-de-gris sert même à colorer une partie de nos médecines ; il entre par tout, jusques dans nos crêmes, nos dragées & patisseries. Le plus bel art du jour est d’altérer, contrefaire tout ce qui doit nous nourrir & nous purger ; ce qui est le plus cher, est le plus maltraité & le plus dangereux : les vins d’Alicante, du Rhin, &c., ne sortent plus du raisin, ils se font avec les boutiques d’Épiciers : en bonne santé, on voit sur une table un danger éminent ; en maladie le danger est purement à côté de votre lit : votre Médecin pourroit répondre de votre rétablissement, s’il pouvoit répondre de ses remèdes ; mais s’il réfléchit sur la fraude & la manœuvre de la cupidité des Droguistes, il tremblera en hasardant. Si votre Médecin réfléchit, il craindra l’ignorance de l’apprenti, l’ambition de la femme, la mal-adresse de la servante de l’Apothicaire, du Droguiste & de l’Épicier ; sans parler même du vaisseau & de la mer. Il ne voit souvent qu’une couleur empruntée, qu’un poids ajouté par des mixtions, une pourriture & moisissure cachées avec art. Entrez chez un Apothicaire, vous verrez tous les jours des Paysans demander de l’émétique, sans parler de leur état, ni de leur hernie & descente. Il m’est arrivé très souvent de voir ces Paysans se plaindre de ce qu’on leur donnoit peu d’émétique, &, croyant que cinq grains n’étoient pas suffisans, ils demandoient double dose. J’ai vu une dispute chez un Apothicaire sur cet article : je montrai l’erreur du Paysan, qui disputoit, en empoissonnant son chat avec la dose qu’il demandoit.
S’il seroit trop long pour moi d’analyser les dangers que nous offrent les remèdes étrangers, il me seroit très facile de vous prouver la nécessité de nous servir des plantes indigênes. Il est sûr qu’il existe dans nos bois, nos jardins, nos prés & nos ruisseaux, des plantes meilleures que toutes les plantes exotiques : elles sont des substituts fidelles, sûrs & immanquables, au quinquina, à la rhubarbe, au séné & à l’ipecacuanha. Les auteurs des Essais des Plantes indégênes n’en doutent plus. Le cabaret, l’herbe à Paris, les violettes & vingt autres valent mieux que l’ipecacuanha. Je pose en fait que n’autre baguenaudier vaut mieux que le séné du Levant. Il est sûr que l’écorce des trois saules, le marronnier d’Inde, le putiel, le frêne, le prunellier, valent plus que le quinquina. La racine d’houblon a étonné les Auteurs des Essais de Matière médicale indigêne, par les effets plus sûrs que la salsepareille, & ainsi des autres, qui feront toujours triompher nos plantes. Penser même le contraire, ce seroit attaquer la bonté de celui qui a prévu & prévenu tous nos besoins, en faisant naître sous nos yeux, nos mains & nos pieds, trois mille plantes existantes en France. Mais hélas ! les hommes ne connoissent de bon, beau & merveilleux, que ce qui est cher & vient de loin ; & je suis sûr que c’est ce qui est le plus fraudé & le plus dangéreux. Dieu veuille que cette erreur qui détruit les plus grandes maisons de nos jours, puisse s’anéantir, & qu’au lieu de donner la préférence à l’étranger, on recherche ce qui est conforme à notre climat, notre tempérament & notre constitution ? En étudiant & recherchant les vertus des plantes indigênes, on épargneroit beaucoup d’argent, le nombre des victimes seroit diminué, les tempéramens moins épuisés, & les morts subites moins communes.
Ainsi, mon cher ami, je vous félicite sur le plaisir que vous ressentez d’avance d’aller prendre des leçons au Jardin de Botanique ; je vous connois des qualités qui m’annoncent que vous ne vous arrêterez pas au jardinage & à la culture, mais à la connoissance essentielle des vertus des plantes. J’ai l’honneur d’être, &c.

samedi 14 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (5) - 2e


AdP 05/03-28/06/1787, v.23
 Du 14 juin 1787
 Agriculture

Fin de la Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

Ceux qui au contraire labourent & préparent leurs terres en hiver, ne trouvent plus de chaume ni sels ; les vents & la chaleur ont tout enlevé, & une terre tenace et froide, comme la nôtre, forme des masses que la pluie, ni la neige, ni la gelée ne peuvent diviser. L’expérience me prouve tous les ans qu’un labour bien préparé évite beaucoup de peine & procure beaucoup plus de blé que tous les autres : cette vérité n’est puisée que dans des observations suivies, faites après des comparaisons évidentes.
D’ailleurs on convient que le seigle doit être semé dans la poussière : ainsi, pour entretenir la terre dans cet état, il faut donc éviter les labours d’hiver ; il faut que la saison & les herbes aident à diviser & émietter nos terres froides & tenaces.
La clef de nos greniers est dans la main des Laboureurs, si l’Agriculture est notre trésor : il faut donc la perfectionner, & je ne cesserai de dire que c’est du premier labour préparatoire que dépend tout le succès de l’Agriculture. Voyons maintenant le temps des semences.
En fait de labour & de semence, je ne parle que pour nos terres argileuses et froides ; &, en admettant le principe de nos Laboureurs, le seigle soit être semé dans la poussière, il faut préparer & semer de bonne heure.
Dans une terre froide il faut procurer de la force au blé pour résister aux fortes gelées : quand la terre est bien préparée, les racines fibrées pénètrent, & plus il y a de canaux nourriciers & de matériaux pour la sève, mieux le blé résiste, végète & produit un grain nourri.
D’ailleurs ce n’est point en ville ni dans un cabinet qu’on peut raisonner sur l’Agriculture ; mais depuis six ans je n’ai plus douté qu’une terre mal préparée retient toujours la fraîcheur, au lieu qu’une terre mal préparée se durcit & ne forme qu’une masse sèche qui ne peut être pénétrée par la rosée.
Qu’on examine dans les belles matinées du mois de Mai, une pièce de terre, dont une moitié sera bien préparée & semée, & l’autre moitié mal préparée & mal semée ; l’on verra que la première aura un dépôt plus abondant de rosée que la dernière, & que le blé trouvera plus de moyens pour prospérer, &c.
Enfin mes Laboureurs restèrent convaincus, 1° que les plantes rendent plus à la terre qu’elle ne donne ; 2° que c’est souvent du premier labour préparatoire que dépend notre récolte ; 3° qu’on ne sauroit trop tôt semer dans nos terres argileuses & froides ; 4° que labour d’été peut valoir fumier, si on enfouit de bonne heure le chaume, &c., &c.
Je crois, M., que ce système ne peut-être contrarié : il est fondé sur l’expérience & sur des principes qu’on ne peut absolument contester. En qualité de citoyen, je me crois obligé de coopérer au bien public.

J’ai l’honneur d’être, &c.


samedi 7 avril 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (5) - 1e


AdP 05/03-28/06/1787, v.21
 Du 7 juin 1787

Lettres d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

Il paroît, M., que mes observations sur le labour d’été ont intéressé plusieurs observateurs : cette heureuse considération m’enhardit encore à vous faire part des entretiens que j’ai eux avec trois Laboureurs de ma paroisse.
Je ne raisonnerai point en homme de ville & de cabinet ; mais comme un Curé de campagne, qui est souvent déconcerté par un vermisseau & par le moindre petit arôme.
Je vis un jour trois Laboureurs de ma paroisse, qui prétendoient que leurs terres avoient besoin de repos, & s’apprauvrissoient. Comme je ne réponds à mes Laboureurs que par des exemples & des comparaisons, je les conduisis dans mon jardin, & leur montrai deux choux nés depuis deux ans dans les fentes d’un mur ; je leur fis examiner la terre qui a nourri ces deux choux. Ils prétendirent que les racines, les feuilles & la fleur devoient peser près de quinze livres, & ils virent que la terre nourricière de ces choux ne devoit peser que deux onces. Je leur parlai beaucoup des violiers jaunes, de la chelidoine, de la joubarbe, du perce-pierre, & autres plantes qui viennent sur les murs d’églises & vieilles masures ; je n’oubliai pas les oignons communs qui poussoit & augmentoit de poids. Ils me parlèrent de leur herbe du forcier (fedum), qui poussoit & augmentoit en l’air, &c. Je leur rapportai l’expérience de ces Philosophes qui pesoient la terre & les pots dans lesquels ils plantoient des branches de saule (falix) : ces branches devenoient arbres, & cependant la terre ne perdoit que deux onces de son poids. Je demandai à mes Laboureurs où ce grand nombre de plantes prenoient leur croissance & leur poids : ils furent interdits & se plongèrent dans le silence.
Qu’on mette maintenant, ajoutai-je, mes deux choux en fumier ; qu’on ajoute ce fumier à l’once de terre qui les a nourris, cette même terre recevra donc plus qu’elle n’a donné. Qu’on sème du trèfle, que trois ans après on laboure & on enfouisse le tout dans la terre, les racines & feuilles serviront d’engrais & de levier à la terre qui trouvera une substance mille fois plus abondante que celle qu’elle a donnée. Nous voyons que tout rentre dans la terre ; le moindre insecte même lui rend mille fois plus que son volume & son poids, & tout prouve que la terre ne prêtre qu’à gros intérêts.
D’ailleurs il ne faut point d’engrais aux déchimens : ce ne sont donc pas les plantes qui appauvrissent la terre. Un Laboureur me demanda ma façon de penser : elle est simple & naturelle. Je crois que si les labours ne se faisoient point à contre-temps dans les terres de repos, les récoltes seroient toujours meilleures. Je porte même mon système plus loin : je ne voudrois pas laisser aucune terre inculte, & je serois d’avis que les terres de repos fussent ensemencées en trèfle : ce repos seroit très avantageux pour l’Agriculture, par la raison que la terre trouveroit plus d’engrais.
Mais, pour parler encore plus éloquemment à mes Laboureurs, je voulois leur montrer par des preuves de comparaison la solidité de mon raisonnement. Je les conduisis dans une plaine qui est divisée, cultivée & labourée par trois paroisses. On pratique dans cette plaine deux différents temps & deux différentes méthodes : le village de N. prépare ses labours après la récolte, au mois de Mai, & il sème à la mi-Septembre ; les autres attendent Février, Juillet, & sèment à la mi-Novembre. Ces derniers sont moins heureux & moins savans que les premiers.
Et voilà six ans que je remarque que les labours préparés après la récolte, sont les plus sûrs, & je regarde qu’il est absolument essentiel de fixer son attention au premier labour préparatoire ; car c’est de là d’où dépend tout le succès de l’Agriculture.
En labourant après la récolte, on enfouit le chaume & les herbes qui sont un engrais essentiel : les racines servent de petits leviers qui dispersent et émiettent la terre, & empêchent les masses, si contraires à nos semences.


(La fin l’ordinaire prochain)

dimanche 1 avril 2012

Georgette Lebeau et la guerre

J'évoquais dernièrement mon aïeul Louis Pissard. On peut alors évoquer son épouse, mon aïeule Marcelline-Georgine Lebeau, dite Georgette, native de Paizay-le-Sec (Vienne). Une drôle de lettre,  écrite de sa main, m'interpella :


D'après mon histoire familiale, je savais qu'elle avait eu un frère mort à la Grande Guerre, mais cette lettre m'indiqua qu'elle en avait eu un deuxième.
J'ai donc essayé de reconstruire cette famille.

Mon arrière-grande-mère est la fille d'Alexandre Lebeau et de Victoire Lebeau (qui étaient cousins germains). Ceux-ci, tous les deux originaires de Paizay, se sont mariés le 29 mai 1884, et ont eu 7 enfants :
  1. Marie-Louise Célestine, née le 22 avril 1885 à Paizay et décédée le 1er septembre 1972 à Chauvigny. Elle épouse, le 11 septembre 1920, à Paris (5ème arrondissement), Louis René Fillaud, un garçon de chantier né lui aussi de la région le 17 septembre 1884 à Saint-Pierre-les-Eglises (ancienne commune rattachée à Chauvigny). Celui-ci est mort dans cette même ville le 13 avril 1963. Je leur connais un seul fils qui sera présent au mariage de mes grands-parents Pissard.
  2. Marie-Marcelline, née le 13 février et décédée le 20 du même mois à Paizay.
  3. Marcelline-Georgine, née le 31 août 1888, à Paizay. Elle épouse Louis Pissard le 4 octobre 1919 à Saint-Macoux. A l'époque, elle est femme de chambre à Poitiers.
  4. Henri André Alphonse, né le 2 juillet 1891 à Paizay, est mort à la guerre le 12 novembre 1914 à Zonnebeke, en Belgique.
  5. Alphonse Fernand Roger, né le 29 mai 1894 à La Bussière (Vienne), est également mort à la guerre à Tahure, dans la Marne, le 31 octobre 1915.
  6. Fernande Claire Marguerite, née le 6 septembre 1897 à Paizay.
  7. et Lucie Marie Germaine, née le 5 avril 1902 à Paizay et décédée le 1er janvier 1988 à Poitiers. C'est la seule de la fratie dont je me souviens (mon aïeule est morte à mes deux ans). Aller voir la tante "Lucie" était une expédition régulière à Chauvigny pendant mon enfance.
Quelques photos :

Chère soeur, est-il écrit au dos de cette photo, je t'envoie un groupe de petites filles parmi lesquelles je me trouve. Je ne sais si tu sauras me distinguer. Tu me diras cela lorsque tu m'écriras, car j'espère bien que tu m'enverras un mot. Je trouve le temps un peu long de ne pas recevoir de tes nouvelles. Est-ce que tu serais encore malade ? J'ai des nouvelles de Lucie et de Marcelle. Tu n'ignores pas qu'elle est rentrée à La Puye. Elle me dit qu'elle est bien habituée et qu'elle ne s'ennuie pas. Lucie va bien. C'est Sara qui m'a apporté ces nouvelles de La Puye. Elle est allée passer un mois là-bas. Je te quitte, chère soeur, et en attendant le plaisir de recevoir de tes nouvelles, je t'embrasse bien fort. Ta soeur qui t'aime. Fernande Lebeau, Niort, 19 novembre 1917.

L'un des frères Lebeau (à droite)

Lucie et sa patronne

probablement Fernande et Marie-Louise
Le site Mémoires des hommes m'a donné les fiches de décès des deux frères. A la base, il me manquait Alphonse, le seul à être né à La Bussière :


Georgette Lebeau, après son mariage, s'installe avec Louis Pissard à Saint-Saviol, dans le Sud de la Vienne.


Lettres d'un Curé des environs de Civrai (4)


AdP 06/07-28/09/1786
 Du 17 août 1786

Lettres d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

J’ai coutume, M., de vous parler dans cette saison, de Botanique ou d’Agriculture. Je vous dirai cette année, que tous voyons un spectacle magnifique dans nos campagnes ; les plantes y fleurissent & prospèrent ; la récolte des foins a été assez abondante ; Dieu veuille que celle des grains soit égale ! Cependant j’ai été allarmé il y a environ deux mois : je vis dans les champs, des épis de seigle, qui n’étoient pas dans un état naturel, & roulés en forme de cornet ; j’examinai l’enveloppe du grain, j’y trouvai plusieurs insectes, dont les uns me parurent être de la classe des pucerons ; je ne pus reconnoître les autres malgré mes recherches les plus attentives : craignant que ce ne fut l’insecte qui occasionne l’ergot ou clou, ou l’animalcule du blé rachitique, dont parle Maurice Roffredy, je pris le parti de prendre des instructions, & pour cet effet j’envoyai des épis de seigle, remplis de ces différents insectes, à M. le C.G., qui renvoya ma lettre à M. de V., lequel pris la peine de me répondre en ces termes :
« M. le C.G., M., m’a fait le renvoi de la lettre, & d’un petit paquet que vous lui avez adressé, contenant des épis de seigle encore verts. J’ai fait remettre les épis à un Académicien, qui a examiné les insectes qui y étoient renfermés ; il s’en est trouvé trois vivans, dont on a distingué à la faveur de la loupe, les ailes, les antennes & les autres parties du corps ; ils ont été reconnus pour être de la classe des ichneumons, & de l’espèce de ceux qui sont désignés sous le nom d’ichneumons à coque en forme de rayons de ruche. On pense que ces insectes n’attaquent point les épis ; qu’au contraire ils font la guerre aux pucerons & aux chenilles, qui vivent sur les plantes : dès-lors on peut présumer que si ces insectes se sont trouvés sur les épis de seigle, ils y avoient été attirés par les pucerons,  & que ceux-ci avoient altérés les balles de seigle que vous avez observées dans un état qui n’est pas naturel, c'est-à-dire, roulées en forme de cornets ; ainsi bien loin que les insectes dont il s’agit, puissent nuire aux grains, on les croit capables de détruire ceux qui réellement cherchent leur nourriture dans les différentes espèces de grains, & transportés dans les granges & les greniers, ils peuvent encore y devenir utiles, en continuant d’y attaquer d’autres insectes qu’on y auroit transportés avec eux, & qu’il seroit essentiel de faire périr. J’ai l’honneur d’être, &c.»
Jugez, M., combien cette réponse m’a tranquillisé ; mais il me reste à faire cesser les craintes de mes paroissiens qui sont allarmés depuis qu’ils ont apperçu cet insecte, qui n’est pas encore assez commun dans notre province. En effet l’histoire naturelle nous apprend que dans l’automne de 1731, & le printemps de 1732, les chenilles furent très communes, & qu’heureusement ces ichneumons les détruisirent : on voit dans M. Valmont de Bomare, la manière curieuse avec laquelle ces ichneumons attaquent, lardent & mangent les insectes.
Je suivois, il y a quelques jours, un homme de ma paroisse, qui en labourant découvroit un nombre infini de turcs, mans ou tacs : après avoir parlé des moyens de les détruire, ce laboureur me dit que le soleil en étoit le plus grand destructeur. En effet je fus étonné de voir que le soleil les saisit, les rendit immobiles & noirs comme du charbon.
Voilà, M., une réflexion que m’a fait naître cette expérience ; je me suis dit à moi-même, puisque les labourages d’été détruisent ces vers, pourquoi ne laboure-t-on pas en été ? D’ailleurs ils est de principe certain, suivant le proverbe de nos anciens, que labour d’été vaut fumier ; ce qui paroit en théorie facile à croire, parce qu’en enterrant les herbes après récolte, on donneroit à la terre plus qu’elle n’a perdu, & ces herbes formeroient du fumier, souleveroient la terre, & la rendroient plus facile à s’imprégner d’eau.
Il en résulteroit encore une chose essentielle, c’est que le grain qui tombe, naîtroit, formeroit du pâcage & une perdure, qui par un second labour périroit & rendroit à la terre plus de principes qu’elle n’en a perdu : au lieu que dans une partie du Poitou, on ne laboure que dans le mois qui précède les semailles ; ce qui fait qu’in ne voit qu’une terre dure compacte & soulevée en mottes, qui n’est pas décomposée & assez préparée pour recevoir la semence.
On assure que M. le Vicomte de la Châtre pratique cette méthode, & qu’il amasse plus de blé que tous ses voisins : ainsi si ce système pratique est fondé en théorie, & si l’expérience en assure le succès, pourquoi n’adopte-t-on pas une méthode qui produit beaucoup plus de blé, & détruiroit les turcs, qui sont un fléau pour nos champs & nos prairies.
Tous les laboureurs de ma paroisse assurent que si on fume les défrichements avec du fumier de brebis, on empoisonne tous ces vers qui rendrent les travaux infructueux : c’est une expérience facile à faire, & qui mérite d’être appuyée sur l’expérience même.
J’ai l’honneur d’être, &c.