lundi 24 décembre 2012

La grande évasion (1878)

Le vol à la tire est un de ces larcins qui échappent le plus souvent à la répression, en raison de l’audace et de l’habileté dont fait preuve le malfaiteur pour dépouiller sa victime.

Le 18 octobre 1877, jour de foire de Saint-Luc à Poitiers, Bertrand Pourtaud, marchand ambulant d’Ardiège (31), se trouve près du café de l’Europe. Il voit trois individus dont les allures ne tardent guère à attirer son attention. Deux d’entre eux portent des pardessus sous le bras, l’autre porte un parapluie la main. Le marchand voit le plus jeune des trois se placer derrière un monsieur, qui paraît être un minotier. Pourtaud voit alors le voleur soulever le paletot du minotier et couper sa sacoche. Pendant ce temps, les deux complices se tiennent de chaque côté de la victime et le pressent. Un boulanger de Biard, près du marchand, s’aperçoit également de la chose.
Les voleurs, se voyant observer, prennent aussitôt la fuite du côté de la Place d’Armes. A cet instant, le boulanger vient vers le minotier, Alexandre Ecault, et lui dit « vous êtes volé ! ». Ce dernier regarde sa sacoche et voit qu’elle a été coupée. Les billets qu’elle contient sont encore là pourtant. Le minotier, venant de Lussac, ne s’est aperçu de rien : comme il y a beaucoup de monde à la foire, il ne s'est rendu compte du vol que quand le boulanger est venu lui signaler. Sa sacoche contient près de huit mille francs et quelques cent francs !
Quelques instants plus tard, Pierre Orillard, minotier aux Quatre-Roue, aperçoit un individu louche alors qu’il se trouve au café de l’Europe. Il est sur ses gardes, ayant appris la tentative de vol dont vient d'être victime M. Ecault, et porte constamment sa main dans sa poche, dans laquelle il dissimule ses valeurs. Pourtant, alors qu’il monte les escaliers du café, Orillard se sent fortement presser par une foule. Un instant après, il s’aperçoit qu’il lui manque son portefeuille, qui contient pas moins de 3100 francs. Il prévient tout de suite les autorités (par le plus grand des hasard, oserai-je dire, il se trouve que Pierre Orillard est le cousin germain du psychotique marchand de curiosités Denis Martial Babin, installé à Paris, qui avait tant frémi pour sa clientèle lors de l'affaire Auguste Babin en 1868 : la défiance était donc de rigueur dans la famille).
Prévenu, l’agent de police Louis Richard se trouve à la gare de Poitiers pour rechercher des voleurs signalés. Devant l’hôtel de Mme Guyot, il voit passer un individu qui fuie à toute allure. Croyant reconnaître celui qu’on avait signalé, il le prend en chasse, en compagnie de son collègue Tavernier. L’individu, se voyant poursuivi, profite d’une voiture qui passait au galop devant lui pour monter derrière.
Le policier monte dans un char-à-bancs, qui prend la même direction. Arrivé près des Trois Fontaines, il aperçoit le voleur, qui s’est débarrassé de son pardessus. Il descend du véhicule, et le bandit fait mine de s’élancer sur lui. Rebroussant chemin, le fugitif grimpe dans le coteau de la Cueille. Le policier s’approche du voleur, qui le menace soudain de lui "brûler la cervelle". Cependant, se voyant traqué de tous les côtés, il saute par-dessus le parapet et se jette dans le Clain, qu’il traverse à la nage.
Ce ne sera qu’à la Sabotterie que le fugitif est arrêté :
On crie au voleur et Jacques Josselin, cultivateur à la Vincendrie, attend cet appel. Il s’arme d’une trique et se met à la recherche du voleur. Il finit par le découvrir dans une volière dont l’entrée ne fait que 45 cm, blotti dans la paille. A sa vue, le voleur veut sortir mais Josselin lui flanque un grand coup de trique sur le nez et le force à rentrer dans la volière. Il n’y a plus qu’à attendre la Police. L’agent Richard arrive et procède à son arrestation. Le lendemain, dirigés par l’agent Richard, M. Orillard et son fils Louis-René, minotier à Vivonne, retrouveront trois mille francs en billets de banque dans un enclos, sous une pierre, sur le trajet du voleur.
Le bandit prétend se nommer Fortunato Bartolato et serait originaire d’une province d’Italie. Il produit même un acte de naissance, preuve à l’appui. Mais on ne se démonte pas. On envoie sa photographie dans tous les parquets de France, et bientôt, la vérité éclate.

AD en ligne, Sauveterre, NMD - 1838-1851, v. 67/76

L’homme s’appelle en réalité Jean Maubé, originaire de Sauveterre (31) : il avait déjà été inculpé trois fois pour des vols, de deux à quinze mois de réclusion. Recherché par la police, il s’était évadé en septembre dernier d’un train durant le trajet qui le conduisait de Bordeaux à Saint-Gaudens (31). On apprend, en outre, que l’homme vivait à Tours avec la femme Pontgibaud, dont le mari avait été tragiquement découvert au fond d’un puits. Pourtaud avait appris que Pontgibaud avait été retrouvé noyé, et que sa femme était à la tête d’une bande de brigands, opérant sur plusieurs départements. Le jour de la foire de Poitiers, cette femme se trouvait à Poitiers. Le marchand l’avait vu en train de fixer les poches d’un jeune collégien, mais s’étant aperçu qu’on la regardait, elle s’en était allée. Maubé est traduit devant le tribunal correctionnel de Poitiers le 25 février 1878. Il est condamné à 7 ans de prison, à 500 francs d’amende, à 5 ans de privation de ses droits et à 5 ans de surveillance.

§ 

Au matin du 3 mars, une nouvelle occasionne une vive émotion dans la cité poitevine. Il s'agit de l'évasion de 7 prisonniers détenus à la prison de Poitiers, qui ont pris la clé des champs en pratiquant une ouverture assez large dans le mur du chauffoir, au moyen d'une pioche et d'un ciseau.
L'évasion a eu lieu entre minuit et quatre heures du matin et a été accomplie avec une certaine audace par les sieurs Laurier, Baudu, Bourdichon, Rocher, Maubé, Leccia et Dubois.
Maubé a probablement rencontré Leccia au tribunal. Antoine Leccia, d'origine corse, en effet, avait également comparu le 25 février précédent devant la cour correctionnel de Poitiers. En venant devant la cour avec le patelot qu'il avait volé au sieur Desaulgé, cordonnier à Chauvigny (86), la preuve du vol ne pouvait être plus clair pour les magistrats, qui le condamnèrent à 3 mois de prison.
Le sieur Louis-Henri Baudu, 21 ans, est originaire d'Antigny (86). Il est garçon brasseur de la veuve Pierrot, qui exploite une brasserie à Châtellerault (86), lorsque le 15 novembre 1877, il se présente à la banque Hérault, Labbé & Godard et Cie pour y négocier un billet à ordre de 300 francs signé par son père et endossé par lui.
N'étant pas assez connu pour inspirer confiance, il se recommande de la veuve Pierrot, son employeur. Le banquier, en relation d'affaire avec la dame, lui répond que Mme Pierrot n'a qu'à endosser le billet, et il l'escomptera. Baudu s'absente, pus revient quelques instants plus tard avec la signature de la veuve Pierrot. Il est aussitôt escompté.
Le 4 décembre suivant, il négocie un autre billet de 300 francs, signé par son père et portant l'endos de M. Collon, limonadier. Cette signature se révéle fausse, et Baudu avoue alors : les deux billets portaient de fausses signatures. Traduit devant la cour d'Assises de la Vienne le 18 février 1878 , il fut condamné à deux ans de prisons et à 100 francs d'amende.
Pierre-Henri Laurier, avec sa femme, avait comparu devant la Cour d'Assise de la Vienne le 22 février 1878. L'homme appartient à une famille honorable des environs de Chauvigny (86). Ses parents, qui possédaient une belle fortune, lui avaient fait donner une éducation assez complète, et il utilisa ses connaissances en s'occupant avec succès aux sciences agronomiques. Mais de graves écarts de jeunesse le conduisirent, en novembre 1854, à être condamné à 6 mois d'emprisonnement pour escroquerie.
En août 1860, il épouse Marie-Louise Clémentine Dorveau, issue elle aussi d'une famille bénéficiant d'une bonne réputation. Elle reçut en dot une maison produisant onze à douze cents francs de revenus par an. Une existence heureuse paraissait donc toute assurée pour les deux époux. Toutefois, Laurier employa plus de cent mille francs à la construction d'une maison et d'une route de quinze cents mètres, et quelques activités commerciales peu honnêtes l'engagèrent dans les procès à l'issue perdante pour lui. Mme Laurier, lorsqu'on lui faisait remarquer les dépenses extravagantes du couple, répondait : « Quand on a cent mille écus de fortune, on peut marcher tranquillement ! »
En 1868, la famille passa la saison des bains à Royan. Laurier joue gros jeu, perd plusieurs milliers de francs et emprunte cette somme à un banquier qui ne reverra jamais la couleur de cet argent.
De plus en plus dévoré par le ruine, devant subvenir aux besoins de quatre enfants, le couple contracte des emprunts à des banques. En juillet 1870, Laurier déclare faillite et il est condamné à une peine d'emprisonnement pour détournement d'objets saisis. La famille de l'accusé fit appel au crédit d'un parent aisé, mais Laurier refusa ce qu'on lui proposait : un travail honnête et qui demandait régularité et long terme pour retrouver une aisance financière.
Commencèrent alors véritablement les hauts faits du couple : de 1874 au mois de juillet 1877, plusieurs faux furent commis par eux, tantôt à Paris, tantôt à Chauvigny, tantôt à Poitiers, sans se livrer à aucun travail sérieux. Plusieurs personnes au cours de ces années furent dupés, notamment les époux Dorveau, parents de Mme Laurier, qui sous de fausses traites, se retrouvèrent à rembourser des créanciers, qui réclamaient le paiement de faux billets fabriqués par leur gendre et leur fille. C'est eux qui, confrontés à leur propre ruine perpétrée par leurs enfants, qui en appelèrent à la protection de la Justice. A l'issu du procès, Laurier est condamné à 7 ans de réclusion, et sa femme à 3 ans.
Alexandre Bourdichon est un jeune homme de 18 ans, natif de Brigueil-le-Chantre (37) et où il demeure. Devant les Assises de Poitiers, lors d'une audience du 21 février 1878, il avoue avoir soustrait frauduleusement 560 francs environ au préjudice d'une fille de sa localité. La cour le condamne à 2 ans d'emprisonnement, avec circonstances atténuantes.
Quant au sieur Augustin Rocher, il était prévenu d'un attentat à la pudeur devant le tribunal correctionnel.
Jean Dubois, originaire de Loches (37), avait su exploité pendant plusieurs mois, et avec une audace incroyable, la crédulité des dupes de Neuville-de-Poitou (86) ou des environs. Se faisant passer tantôt pour le fils ou le gendre, tantôt pour le domestique d'un riche propriétaire, il se faisait remettre des sommes d'argent qu'il dépensait aussitôt dans les cabarets. Pour inspirer confiance, il arborait sur sa tunique la médaille militaire, décoration qu'il avait lui-même confectionné. Devant le tribunal correctionnel de Poitiers, en date du 11 février, il fut condamné à 15 mois de prison et à 50 francs d'amende. Il était un récidiviste qui avait déjà été condamné trois fois dont deux pour des faits analogues.

§

Le dortoir commun au sous-sol de la prison, où couchaient les détenus évadés semblait présenter en raison de l'apparente épaisseur de ses murailles, toute sorte de sécurité. Trois autres détenus, qui partageaient le même dortoir, auraient pu eux aussi recouvrer en même temps leur liberté, mais ceux-ci se trouvaient bien en prison et ils se tenaient tranquilles. 
Sur les indications de Laurier, qui s'est érigé en entrepreneur, en architecte (il se donnait même du Monsieur de Laurier), les prisonniers ont percé le mur qui sépare leur dortoir du chauffoir. Puis ils sont passés par le jardin des gardiens, puis dans le chemin de ronde en perçant le mur de clôture, et, une fois là, sont sortis dans la rue de la Visitation, en face de l'hôtel Rivière, en enlevant la gâche de la serrure d'une porte qui se trouvait là. 
Un journaliste, ce matin-là, est particulièrement caustique sur l'administration pénitentiaire : "Maintenant que les oiseaux sont partis, se décidera-t-on enfin à empêcher le retour de pareils aventures ? Et croit-on que s'il y avait un poste à la prison et qu'on y fit des rondes pendant la nuit, ce serait un luxe inutile ? Une prison dont on ne monte pas la garde, avouons que cela ne se voit guère, et surtout dans une ville qui possède une garnison de trois régiments !"
Si les journalistes sont aussi ironiques, c'est qu'ils ont sans doute en mémoire cette évasion remarquable, survenue cinq ans auparavant :
En effet, dans la nuit du 12 au 13 mars 1873, deux femmes s'étaient entendues pour se faire la malle ensemble : la femme Marcoux et la fille Rivière, de Latillé, cette dernière condamnée à 15 ans de réclusion pour infanticide. Ayant lié ensemble 4 draps de leur lit, les deux femmes avaient escaladé à l'aide de cette corde improvisée deux murs de ronde, après quoi elles avaient traversé une petite cour et ont franchi un troisième mur qui les séparait de la rue des Écossais. Cependant, les deux femmes n'avaient pas couru longtemps : la fille Rivière avait été trouvée sur la place du marché Notre-Dame, le lendemain, et la femme Marcoux le surlendemain, à Vivonne (86).

§

Suite à l'évasion, 4 des évadés sont retrouvés dans l'après-midi. Laurier et Baudu à Vouneuil-sur-Vienne (86), et Bourdichon et Rocher à Lussac-les-Châteaux. 
Ces deux derniers sont repris à l'aide d'un subterfuge astucieux. Le sieur André, brigadier de la gendarmerie de Lussac, aperçoit sur la route deux individus qui marchent très vite. Il s'avance vers eux et croit les reconnaître pour deux des évadés, signalés le matin et dont il avait le signalement. 
Pour ne pas éveiller les soupçons, il choisit une approche amicale : "Vous avez l'air d'avoir bien chaud, leur dit-il. J'arrive moi-même de tournée et j'ai grande soif ! Entrez avec moi dans cette auberge et nous nous rafraîchirons."
Bourdichon et Rocher, car ce sont eux, acceptent, mais à peine entrés dans l'établissement, au lieu de rafraîchissements, le brigadier leur offre des menottes et les invite bientôt à le suivre. Ils n'opposent aucune résistance. 
Laurier et Baudu arrive le 4 à cinq heures du soir par le train de Tours, attachés l'un à l'autre par une chaîne de sûreté. Laurier est habillé comme un sou neuf : on lui a acheté un patelot de toile à la Belle-Jardinière de Châtellerault. 
Les trois autres évadés courent toujours. A la date du 5 mars, on donne leurs signalement : 
  • Jean Maubé, dit Fortunato Borthalo, 27 ans environ (il paraît plus jeune), 1 m 69, barbe naissante, cheveux et sourcils châtins, mentin relevé, visage ovale et anguleux, teint brun, nez pointu, bouche moyenne, front bas et yeux gris-roux, cicatrice au mollet droit, signe de vésicatoire sur le cou (partie droite), cicatrice au poignet gauche et au petit doigt de la même main. Il doit être vêtu des effets de la prison, mais on suppose aussi qu'il a pris une blouse bleue et une casquette noire. 
  • Antoine Leccia, 41 ans, teint brun, 1 m 61, barbe noire (et d'origine corse, ayant un accent très prononcé de cette langue), chapeau de feutre noir, blouse en coton bleu, pantalon en coton bleu, chaussé de souliers. 
  • Jean Dubois, 33 ans, cheveux et sourcils chatains, vêtu d'une blouse bleue, patelot gris, salopette bleue, chaussé de souliers, chapeau en feutre noir, taille 1 m 72, forte moustache. 
A ce moment-là, Leccia aurait été aperçu se dirigeant vers Chauvigny ou Montmorillon. Mais faisons attention aux rumeurs : le 5 mars, trois individus sont signalés en train de rôder dans les alentours de la commune de Béruges (86). Les gendarmes de Poitiers, prévenus, trouvent les habitants aux champs, armés de fourches et de faux et durent calmer le jeu. L'histoire retient qu'il s'agissait d'une fausse alerte.

§

Il faut attendre plusieurs jours pour que l'on signale l'arrestation de deux des autres évadés. Le 7 mars, jour de marché à Aigre (16), un individu, qui a soustrait un portefeuille contenant un billet de 100 francs, cherche à couper la poche d'une autre personne, lorsque celle-ci s'en aperçoit et donne l'alerte aux gendarmes de réserve.
Le voleur s'est aussitôt dissimulé dans la foule. Poursuivi, il menace de « brûler la cervelle » (avec une arme qu'il n'a pas) à toute personne cherchant à l'attraper. Il parvient ainsi à sortir du village, puis finalement se fait prendre 3 km plus loin, grâce notamment au chien d'un boucher qui le suit de très près et qui lui mordille les mollets.
Le fuyard se présente comme étant Paul Petit, natif de Champagne-Mouton (16). Pendant son transfert à la prison de Ruffec (16), un interrogatoire approfondi transperce sa fausse identité et l'homme se révèle être Jean Maubé, dont le signalement avait été diffusé à large spectre dans la région depuis l'évasion.
Dès son arrivée à la prison de Ruffec, Maubé tente de renouveler son affaire. Pendant la nuit, il a commencé, à l'aide de sa cuillère, à faire dans le mur un trou qui avait même pris des dimensions inquiétantes ! Mais il n'a pas le temps d'arriver à ses fins, alors que le gardien s'aperçoit de ses intentions.
Leccia, lui, est pris en flagrant délit à Bordeaux, où il est détenu quelques jours. Le 16 mars, il est réintégré dans son ancien domicile.
Le 22 mars, Maubé arrive à Poitiers vers 1 h 30, accompagné de deux gendarmes de la brigade de Ruffec. Deux autres gendarmes de Poitiers et deux sergents de ville l'accueillent à sa descente de train. La veille, il a été inculpé devant le tribunal de Ruffec des vols qui ont motivé son arrestation à Aigre, qui le condamne à 6 ans de prisons et à 5 ans de surveillance.
Arrivé en face de la prison, Maubé devient d'une gaieté folle : "Tiens", s'écrit-il en éclatant de rire, "voilà mon hôtel !" Il ne va pas sans dire que toutes les précautions sont prises pour qu'il ne puisse plus s'évader de cet hôtel !
Si le comique de la situation échappe quelque peu à ses gardiens, Maubé est quand même quelqu'un de très consciencieux. Voulant se mettre en règle avec la justice, il avait, peu de temps avant son évasion, interjeté appel du jugement qui l'avait condamné à 7 ans de réclusion. Toutefois, les événements ne sont pas en sa faveur : le 30 mars, la cour d'appel confirme purement et simplement la décision de la cour correctionnel de Poitiers.

§

Le procès des évadés se tient devant la cour correctionnel de Poitiers le 8 avril suivant. Jean Dubois brille par son absence. La cour condamne ce dernier (par contumace) et Maubé à un an de réclusion, Laurier, Leccia, Baudu et Bourdichon à 6 mois, et Rocher à 3 mois de la même peine.
Pendant une suspension de l'audience, Maubé aperçoit M. Orillard, ce fameux minotier dont il avait soustrait 3100 francs, quelques mois plus tôt.
Avec ironie, il lui demande alors des nouvelles de son portefeuille.

Cartographie des arrestations

Sources :
  • Le Journal de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée, 14, 15 et 16 mars 1873, 
  • Le Journal de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée, 13, 20, 24, 25/26 et 27 février , 3, 4/5, 8, 17, 20, 23, 30 et 31 mars 1878, 10 avril 1878. 

dimanche 23 décembre 2012

Le reclus du Pont-Neuf (1876)

Elle court, elle court, la rumeur de séquestration, en cette ville de Poitiers en ce 8 décembre 1876.

Le lendemain, M. Simon, commissaire de police, ayant été avisé par ces bruits qui courent, se rend, accompagné d'un agent, au lieu dénoncé par la rumeur publique, c'est à dire chez la veuve Bagouin, au commencement du faubourg du Pont-Neuf.
Aux premières question adressés par le policier à cette femme, celle-ci nie avoir quelqu'un chez elle ; puis, se plaçant en face d'une porte dissimulée par une vieille tapisserie, elle finit par dire : « Enfin, si j'ai quelqu'un chez moi, cela ne vous regarde pas ! » Se mettant en travers de la porte, elle déclare au magistrat qu'il n'ira pas plus loin.
« Madame, déclare-t-il, faites descendre la personne qui est dans le grenier. »
A ces mots, on entend, derrière cette porte, une voix qui dit : « Non, je ne descendrai pas ; la Société ! La Société !! Canaille, clique !! Toujours la même chose ! »
Mme Bagouin ayant finalement ouvert la porte, les policiers aperçoivent alors en haut de l'escalier du grenier un homme de 35 à 40 ans, aux cheveux longs et en désordre, qui crie et gesticule.
Il s'agit du fils Ferdinand Bagouin, 40 ans, ex-employé de commerce. « Il est ici depuis un an ou deux, ajoute-t-elle, je le garde parce qu'il n'a plus sa tête à lui. »
On veut l'interroger, mais il refuse de répondre, répétant à l'envie : « La Société ! La Société ! etc., etc . » Puis il déclare dans un moment de rare lucidité qu'il a servi dans les zouaves de Charette, qu'il s'est battu au Mans, etc. Il n'a pas été possible de tirer autre chose de lui que des propos incohérents.

Les voisins prétendent que le malheureux est dans cette situation depuis 4 ans.

Le parquet se défiant de la rumeur et jugeant satisfaisantes les réponses de la mère, aucune poursuite ne sera dirigée contre elle.

Cette histoire fera tout de même l'objet d'un article dans le quotidien parisien le Petit Journal, édition du 10 décembre 1876 (ci-contre). On se rend compte, finalement, qu'en cette fin de siècle, Poitiers vivait sous la terreur de la criminalité, et qu'une affaire, visiblement moins criminelle qu'elle n'y paraissait au départ, a vite fait de répandre la rumeur populaire, avec le lot de méfiances et de médisances que l'on connaît. On s'est monté le bourrichon ! aurait dit Flaubert, s'il avait eu vent de cette histoire.

N'oublions pas que quelques années plus tard, en 1901, sera découverte la célèbre "séquestrée de Poitiers", Blanche Monnier, détenue par sa mère et par son frère pendant près d'un quart de siècle.

Le fin mot de l'histoire est simple : un an auparavant, la femme Bagouin vivant seule depuis le décès de son mari, elle entendit au milieu de la nuit qu'on frappait discrètement à sa porte. C'était son fils, qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps. Mais quel changement s'était opéré en lui ! La pauvre femme avait de la peine à le reconnaître. L'altération de ses traits, le délabrement de ses vêtements attestaient plus que ses paroles la triste existence qu'il avait menée.
A la suite de chagrins successifs, sa raison paraissait même l'avoir abandonné. Il demandait à vivre loin des hommes, auxquels il imputait tous ses malheurs. La mère l'avait accueilli et s'était condamnée à ne plus recevoir de visite pour ne pas importer son fils malade.
Prisonnier mais libre de circuler dans les deux chambres du logement de la veuve Bagouin, le fils aidait sa mère aux travaux de couture, seule source de revenus qui leur permettait de vivre. Malgré les précautions qu'il prenait, on l'avait finalement aperçu un beau matin.

Sources :
  • Le Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres, 9 décembre 1876 et 11/12 décembre 1876,
  • Le Journal de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée,  9 décembre 1876 et 11/12 décembre 1876.

jeudi 20 décembre 2012

L'affaire des faux Louis d'argent (1855)

Vous souvenez vous ?
J'évoquais il y a quelques temps le destin de la famille Chevaux, partant de Voulême (86) en 1669, s'établissant ensuite sur plusieurs paroisses alentours pour venir se fixer d'une part à Montalembert (79) et d'autre part à Saint-Macoux (86). Voici un épisode de cette saga, s'attachant en fait à Pierre Chevaux, demi-frère de l'une de mes ancêtres, qui connut bien des déboires. 


Le 6 septembre 1855, c'est le jour de foire à Sauzé-Vaussais (79). Jeanne Ollivet, 47 ans, la veuve Chevaux, se présente avec sa fille Marie, 18 ans, au banc de Suzanne Therminaria, femme Lombard, boulangère à Chef-Boutonne (79), demandant qu’on lui donne de la monnaie d’une pièce de 5 francs. Alors qu’elle lui remet la pièce et déjà qu'elle achève de ramasser la monnaie qu’elle venait de lui être comptée, la boulangère devient livide. Cette pièce, à l’effigie de Louis XVIII et au millésime de 1819, est de suite reconnue fausse par la femme Lombard et il en est de même, quelques instants après, d’une seconde pièce semblable à celle offerte à cette femme, et que la veuve Chevaux avait également en sa possession.

Jean Main, maréchal des logis, accompagné d'Augustin Mondé et de Charles Schilleaud, gendarmes à cheval, sont de service ce jour-là à la foire. Ils aperçoivent près de la halle les deux femmes discutant à vive voix et se décident à intervenir. On reconnaît vite que la pièce est fausse. Elle est alors questionnée par le gendarme : la femme a reçu cette pièce à Poitiers où elle était allée en témoignage. En a-t-elle d'autres ? Elle pousse sa fille du coude et lui remet quelque chose qu’elle prend dans sa poche : c’était une 2ème fausse pièce que sa fille montre bientôt sur l’invitation même de sa mère et l'insistance du gendarme. 

La veuve Chevaux commence à soupçonner son fils Pierre, 22 ans, qui ne lui a causé que des soucis. D'ailleurs, n'a-t-il pas été condamné quelques semaines plus tôt pour le vol d'un pain ? Sa jeune fille est questionnée à son tour, mais il apparaît évident qu'elle n'a aucune connaissance de cette affaire, si ce n'est qu'il s'agirait bien d'un tour de son vaurien de frère. Les deux femmes sont conduites dans la gendarmerie, et le parquet de Civray est prévenu. 

Le fils, qui habite dans une petite grange située derrière la maison de sa mère, est aussitôt appréhendé. 

Pierre Chevaux est connu dans le pays pour fabriquer des boutons, en employant pour ce faire de l'étain fondu et un moule en pierre. Trois ans auparavant, il avait eu quelques ennuis avec un sieur Rivaud. Il avait engagé les enfants de celui-ci, en échange de boutons en étain, à soustraire à leur mère une cuillère en argent. 

Dans les dernières semaines, ledit présumé voyou avait été vu par sa soeur Jeanne en train de faire fondre quelques chose de blanc dans un pot : « il creusait, avait raconté t-elle, une pomme de terre de part en part, y versant la matière fondue qui traversant la pomme de terre venait tomber dans une assiette où il y avait du sable. » 

L'instruction fait découvrir aux enquêteurs que Pierre Chevaux avait lui-même, dès le 7 janvier dernier, sur les six heures du soir, dans les châtaigneraies de Lapiteau, demandé à un nommé Joseph Naud de lui donner la monnaie d’une pièce de 5 francs. Cette pièce, suivant ce qu’a déclaré Naud, avait bien la forme et l’épaisseur de celles de 5 francs, mais elle était noire, sans lettre autour, et en plomb. C’était très certainement une pièce contrefaite. 
« elle ne vaut rien, elle est en plomb, je n'en veux pas ! aurait déclaré Naud. 
— Si tu n'en veux pas, je la donnerais à d'autres » répond Chevaux. 
Le même jour, pareille demande était faite à un sieur Moreau. Mais celui-ci n’a pas vu la pièce que Chevaux voulait lui échanger. 

Chevaux avait même, une fois ou deux, offert d’échanger une pièce d’or. On lui aurait en outre entendu dire dans plusieurs circonstances où il manifestait son intention de se livrer au commerce d’une manière qui supposait des ressources dont on le savait totalement dénué, qu’il ne manquait point d’argent et qu’il savait où était le moule pour en faire. 

Bien sûr, le jeune homme nie farouchement les faits. Il reconnaît s’être servi, mais deux fois seulement, d’étain fondu, uniquement pour souder un chandelier appartenant à sa mère (ce chandelier fut endommagé par Marie Naud, courant novembre 1854). Il nie avoir jamais fabriqué des boutons ni demandé aux enfants Rivaud de lui procurer une cuillère. Comme les preuves sont contre lui, il trouve à redire aux enquêteurs : il prétend, contre toute certitude, qu’en 1850, il avait reçu d’un sieur Badin et d’un sieur Texereau — qui selon lui en auraient fabriqué à cette époque, jusqu’en 45 — 4 pièces de 5 francs contrefaites. Il les avait conservées jusqu’à il y a six mois. Alors il en avait remis deux à sa mère mais en l’avertissant de ne pas s’en servir parce qu’elles étaient fausses. 

La veuve Chevaux reste constante dans ses déclarations : elle a constamment affirmé qu’à son retour de Poitiers, où elle était allée en témoignage au mois d’août dernier [1], et où elle avait reçu 30 francs environ, il lui restait notamment trois pièces de 5 francs, que c’étaient ces trois même pièces qu’elle croyait avoir emportés à la foire de Sauzé. Si deux de ces pièces se trouvaient fausses, elle supposait qu’à son insu et comme il l’avait d’ailleurs fait plusieurs fois, son fils Pierre avait ouvert son tiroir et avait substitué à deux bonnes pièces les pièces contrefaites. Mais tout concourt à établir que la femme Chevaux n’ignorait pas que deux des pièces qu’elle avait à la foire de Sauzé et spécialement celle qu’elle offrait à la femme Lombard, étaient fausses. 

D'après la veuve Chevaux, ce serait le lundi 3 dans la soirée que, devant aller le lendemain à Civray, elle aurait pris dans le tiroir où elle les avait placées les 3 pièces de 5 francs ; elle les aurait gardées sur elle depuis ce moment jusqu’au jeudi 6, sans s’apercevoir de la substitution opérée par son fils. Pourtant les deux pièces contrefaites l’ont été si grossièrement qu’il ne paraît pas possible que l’œil le moins exercé puisse s’y tromper. 

Le 14 septembre, la veuve Chevaux et son fils Pierre sont mis en examen. Ils sont accusés : 
  1. Pierre Chevaux, premièrement, d’avoir depuis au moins dix ans, en la commune de Saint-Macoux, contrefait ou altéré des monnaies d’argent ayant cours légal en France ; deuxièmement, d’avoir le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, émis frauduleusement en l’offrant au sieur Naud Joseph, une pièce qu’il disait être d’argent et de la valeur de 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée – à tout au moins d’avoir ce 7 janvier 1855 en la commune de Saint-Macoux, tenté d’émettre frauduleusement en l’offrant au dit Naud une pièce qu’il disait être d’argent et valoir 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, 
  2. Jeanne Olivet, veuve Chevaux, d’avoir le 6 septembre 1855, à Sauzé-Vaussais, frauduleusement émis une pièce de monnaie qu’elle disait être d’argent et valoir cinq francs, laquelle était contrefaite ou altérée – ou tout au moins d’avoir le 6 septembre 1855, en la commune de Sauzé-Vaussais, tenté d’émettre frauduleusement émis une pièce de monnaie qu’elle disait être d’argent et valoir 5 francs, laquelle était contrefaite ou altérée, laquelle tentaive manifesté par un commencement d’exécution n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. 
Pierre Chevaux a une réputation détestable, il a été condamné pour vol, et, selon son frère, il lui a volé, il y a trois ans, une somme de 60 francs qui aurait du servir à acquitter les frais d’un procès perdu par leur mère.

Jean Naud, 45 ans, rapporte une anecdote à charge contre l'accusé : un an auparavant, sa nièce, Agathe Naud, fille du premier lit de la femme Verron [2], qui devait se marier avec Pierre Chevaux, est venu le prier de lui prêter treize francs et trente centimes, pour payer la farine que le jeune homme avait acheté pour faire le pain de la Noël. La femme de Naud eut l’obligeance de lui prêter cette somme, que Chevaux devait rendre. Mais, malgré les réclamations des Naud, Chevaux s'en est toujours dispensé par des faux fuyants. 
Un jour, donc, Jean Naud va trouver Chevaux chez sa nièce, et le jeune homme lui dit : « j'ai un Louis d'Or ! Je vais vous payer. » Ils sortent ensemble et chemin faisant dans la direction de Chez Chevaux, le garçon dit : « je vais vous donner mon Louis, et demain, vous me remettrez la différence de ce que je vous dois. » 
Naud, par cette belle journée, ne veut pas s'encombrer de la pièce et préfère la recevoir en soirée. Ils allèrent tous deux au cabaret, se firent remettre une bouteille, et au moment de payer, Jean Naud demanda son Louis d'Or. Pierre Chevaux prétexta un besoin pressant, sortit et ne reparut plus. 
C'est la nièce Naud qui remboursa son oncle. 

Les accusés sont placés en prévention le 24 octobre 1855. Par arrêt de la chambre des mises en accusations de la Cour impériale de Poitiers, en date du 9 novembre 1855, l'affaire est renvoyé par devant la Cour d'Assise de la Vienne et le procès se tient le 24 suivant.

Les questions soumises au jury sont les suivantes. En ce qui concerne Pierre Chevaux :
  1. Pierre Chevaux, accusé, est-il coupable d'avoir depuis moins de dix ans, en la commune de Saint-Macoux, contrefait ou altéré des monnaie d'argent, ayant cours légal en France ? Oui à la majorité. 
  2. Pierre Chevaux, accusé, est-il coupable d'avoir, le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, émis frauduleusement, en l'offrant au sieur Naud Joseph, une pièce qu'il disait en argent et de la valeur de cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite ? Non. 
  3. Question subsidiaire : tout du moins, l'accusé sus-nommé est-il coupable d'avoir le 7 janvier 1855, en la commune de Saint-Macoux, tenté d'émettre frauduleusement, en l'offrant au dit sieur Naud, une pièce qu'il disait en argent et valoir cinq francs, laquelle était contrefaite ou altérée - laquelle tentative manifestée par un commencement d'exécution n'a été suspendu ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ? Oui, à la majorité. 
En ce qui touche Jeanne Olivet, veuve Chevaux : 
  1. Jeanne Olivet, veuve Chevaux, accusée, est-elle coupable d'avoir, le 6 septembre 1855, à Sauzé-Vaussais, frauduleusement émis une pièce de monnaie qu'elle disait être d'argent et valoir cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite ? Non. 
  2. Question subsidiaire : Tout du moins, la sus-nommée est-elle coupable d'avoir le 6 septembre 1855, en la commune de Sauzé-Vaussais, tenté d'émettre frauduleusement une pièce qu'elle disait être d'argent et valoir cinq francs, laquelle était altérée ou contrefaite, laquelle tentative, manifestée par un commencement d'exécution, n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ? Non. 
Ainsi, le jury accorde le bénéfice du doute à la veuve Chevaux : Jeanne Olivet est acquittée, sur la plaidoirie de M. Arnault-Ménardière.

Pierre Chevaux, déclaré coupable avec circonstances atténuantes, a été condamné à 5 ans de réclusion et 100 francs d'amende, défendu par Me Courbe. 


[1] Est-ce l'affaire Jean Naud ?
Ce dernier (il ne s'agit pas du même Jean Naud cité dans cet article), né en 1786 à Saint-Macoux et demeurant à Chez Chevaux, même commune, paraît au tribunal des Assises de Poitiers le 21 août 1855 sous l'accusation de trois attentats à la pudeur, tentés ou consommés, sans violence, sur des enfants au dessous de l'âge de 11 ans. Le jury a rapporté un verdict affirmatif sur deux des questions qui lui étaient soumises, avec admission de circonstances atténuantes. Naud, qui était défendu par Me Lepetit jeune, a été condamné à 15 mois d'emprisonnement. Cette affaire a été jugée à huis clos (AD en ligne, Affiches du Poitou, édition du jeudi 23 août 1855).

[2] Jean Naud défend la réputation de sa soeur. Dans les faits, Marie-Agathe, dite Agathe, Naud est née de père inconnu et d'Antoinette Naud, qui épousera, quelques années après la naissance de sa fille, Louis Verron (AD en ligne, Saint-Macoux, N - 1823-1832, v.52/62).

vendredi 14 décembre 2012

Le meurtre de Château-Garnier (1881)

Souvenez-vous. Il y a quelques temps, j'avais pris la plume (ou plutôt le clavier) pour reprendre l'histoire du sieur Clément, coupable d'un double meurtre (sa femme et sa domestique) à Usson-du-Poitou en 1892. On évoquait son oncle, condamné pour le meurtre de son fils 12 ans auparavant.


Voilà cette histoire.


Le 18 février 1881, inquiets d'être sans nouvelle de Louis Clément, 30 ans, parti à la Foire de Joussé le 14 précédent et n'étant pas réapparu depuis, ses parents et amis entreprennent des recherches. Celui-ci habite au Grand Pin, sur la commune de Château-Garnier. Il n'a pas très bonne réputation : maraudage, braconnage, ses moeurs laissent à désirer, les voisins le redoutent.  Comme la Clain passe en-dessous du hameau, on décide de sonder la rivière. On ne tarde pas à découvrir le corps sans vie du jeune homme dans une fosse. L'autopsie révèle rapidement que la mort est d'origine criminel : le crâne est fracturé et broyé à plusieurs endroits, les coups ont été d'une extrême violence, porté avec des objets tranchants et contondants. Ses blessures auraient du le faire mourir rapidement, mais il est prouvé que, mourant, Clément a été jeté dans le Clain et est mort noyé.
Le corps est sorti de l'eau. Lourd, il doit être porté en civière. Louis Pradeau, l'un de ceux qui le portent, aura de grande peine à le poser sur son lit.

Rapidement, on comprend qu'un dénommé Pierre Fleurant, 24 ans, camarade habituel du mort et habitant le hameau de Lallier, n'est pas étranger à l'affaire. Il ne tarde pas à passer aux aveux :
Dans la soirée du 14 courant, en revenant de la Foire de Joussé, il rentre chez lui et y trouve sa mère, Marie Aucher, en train de lui confectionner une blouse. Marie Aucher n'a pas une réputation des plus enviables. Âgée de 48 ans, elle est veuve de son premier mari, François Fleurant, et s'est remariée en 1863 avec François Marchadier. Quelques instants après, arrive à son domicile Pierre Clément, père de la futur victime. Ivre comme à son habitude, celui-ci entretenait autrefois une relation avec sa mère, mais ce soir-là, Pierre Fleurant engage le bonhomme à se retirer, allant même jusqu'à l'accompagner au Grand Pin. De retour, il se couche et s'endort.
Il est réveillé par un grand cri et découvre Louis Clément, étendu par terre et n'apparaissant plus en vie. Sa mère tient dans ses mains une grande serpe, avec laquelle, semble-t-il, elle a frappé le jeune homme. Dans un premier temps, le fils cherche à prévenir les gendarmes et le maire, mais, menacé par sa mère, il consent à porter le corps à la rivière.
Ces circonstances seront confirmées par la femme Marchadier : Louis Clément, également son ancien amant, serait venu la voir peu de temps après que son fils se soit endormi. Voulant reprendre cette relation, Louis Clément insiste et une dispute s'engage entre le jeune homme et la femme. De colère, elle le frappe avec une serpe posée à côté d'elle. Elle dira que le jeune homme la menaçait avec un couteau, la blessant même sur le crâne.

Antoine Bellaud, 50 ans, rentier à Joussé, fait parti de ceux qui ont porté le corps de Louis Clément de la maison à l'endroit où le docteur Guillaud-Vallée voulait procéder à l'autopsie. « Nous étions quatre, dit-il, mais comme je ne soutenais que la tête, je ne peux pas vous dire approximativement ce qu'il pesait. Cependant, j'ai reconnu qu'il était assez lourd, lorsqu'il a fallu le déshabiller.
— Admettez-vous possible à un homme et à une femme seuls de porter le corps de Clément de Lallier à la rivière, soit pendant 593 mètres ?
— La chose me paraît difficile à moins cependant qu'ils ne se soient servis d'une civière et encore, aurait-il fallu qu'ils se reposassent plusieurs fois. »

Lors de la reconstitution du 10 mars, le maréchal des logis Bertrand mène les deux escortes qui conduisent Fleurant et sa mère sur les lieux du crime. Il s'assure que les deux inculpés ne  se voient pas, en les maintenant à deux km de distance l'un de l'autre. Dans la maison de Fleurant, Bertrand questionne la femme Marchadier sur les circonstances du crime. Puis la troupe parcourt le chemin qui mène à la rivière : Bertrand est persuadé que Fleurant et sa mère n'ont pu porté seuls le cadavre de Louis Clément sur une si grande distance. Il pose la question au jeune homme, mais celui-ci ne dit rien et déclare qu'il ne sera pas puni car il n'est pas coupable.
Toujours préoccupé, Bertrand, revenu à Lallier, s'apprête à quitter les lieux lorsque la femme Marchadier lui demande d'intervenir auprès de son mari pour qu'il lui prête de l'argent. Le pauvre hère avait jusque là refusé. Bertrand rétorque que François Marchadier est déjà bien fatigué des dépenses qu'il a déjà faites pour elle, alors elle répond : « dites-lui de m'envoyer deux cents francs, il ne risquera rien, car plus tard, j'en aurai et je les lui remettrai. »

Bertrand ne fait pas particulièrement à cette remarque. Toutefois, les circonstances vont lui faire se rappeler cette petite phrase. Il apparaît évident pour les enquêteurs que Fleurant et sa mère cachent une partie de la vérité. 

Harcelé, Pierre Fleurant finit par avouer : en se réveillant, durant cette nuit du 14 février, il aperçoit sa mère, Louis Clément mais surtout Pierre Clément, le père de la jeune victime. Celui-ci s'engage à lui donner 20.000 francs s'il consent à garder le silence. De nouveau, ces nouvelles circonstances seront confirmées par le femme Marchadier.

Voilà ce qui se passe le jour du drame :
Le 14 février, Clément père dîne à Joussé avec Joseph Augry, Jules Vriet et l'aubergiste Pierre-François Sorton.   Étrangement, aucun ne relève que Clément père parle de son fils en mauvais termes, qu'il lui causait beaucoup de soucis et « qu'il voudrait le savoir mort là où il était. »
Ils partent ensemble mais à peine avaient-ils fait 50 m que Clément s'arrête. Les 3 autres ne l'ont plus revu. Ils ont rencontré Fleurant, après avoir traversé Moiseau, qu'ils ont accompagnés jusqu'à Lallier. Il est 11 heures environ.
Peu après, Clément père arrive chez la mère Marchadier, l'engageant à sortir dehors. Celle-ci refuse, et son fils, à peine rentré, éconduit l'individu. Il l'accompagne même jusqu'au Bois-à-Bourreau. Fleurant rentre se coucher.
Clément revient malgré tout, et, profitant de l'absence du fils, s'impose chez la vieille femme. Peu de temps après, un bruit se fait entendre dehors. Clément ne veut pas qu'on le voit, il cherche à se dissimuler dans un coin.
Aussitôt, c'est Clément fils qui apparaît. Il s'assoit à une chaise - celle-là même que son père venait de quitter - puis entreprend d'arranger une sa montre avec un couteau.
C'est en levant les yeux qu'il aperçoit son père.
Il se lève soudainement et s'adresse à la femme, le couteau levé : « Je t'avais bien dit que nous ferions une mauvaise fin si je te trouvais avec mon père ! »
A ce moment-là, la femme Marchadier prend une serpe et lui assène un coup sur la tête. Il chancèle. Son père s'approche et attrape la serpe des mains de la femme pour asséner plusieurs coups à son propre fils. Puis il le frappe encore et encore avec une bûche de bois, jusqu'à ce que le jeune homme ne donne plus signe de vie.
Avec tout ce bruit, Fleurant s'est réveillé. Découvrant la scène, il veut prévenir les gendarmes. Clément l'en empêche et lui promet même 20.000 francs s'il se tait. Fleurant consent à aider sa mère et son amant pour porter le corps à la rivière. La femme Marchadier en profite pour s'emparer du porte-monnaie et de la montre de la victime : ils seront retrouvés plus tard par la gendarmerie dans son armoire.

Clément s'indigne et nie ces aveux. Mais l'homme avait cherché à tromper son monde. Le jour du meurtre, il avait cherché à suborner de nombreux témoins. On notera, pour l'exemple, sa visite chez ses métayers les Soumillat, à qui il aurait dit : « Tant que je ne ferai pas plus de mal, je n'ai pas peur d'être arrêté ! » A eux et à son autre métayer Dudognon, il leur aurait fait certifier qu'il était rentré chez lui vers minuit ou minuit et demi, ce qui était indubitablement faux.
L'homme s'adonnait à la boisson et était fréquemment ivre. Il faisait mauvais ménage avec sa femme, qui, 5 ans auparavant, avait été contrainte d'abandonner le domicile conjugal. Son ancien domestique, Louis Deschamps, rapporte qu'une fois son maître avait pris le fusil et avait entrepris de tuer sa femme et son fils : grâce à ce domestique et à son fils, le père finit par se calmer. 
Sa liaison avec la femme Marchadier était connue, bien qu'il la nie farouchement. Si cet homme était trouble, la femme Marchadier et son fils n'étaient pas en reste : on raconte qu'ils entretenaient même une relation incestueuse...

Le procès se tient les 23, 24 et 25 mai 1881. La foule envahit le tribunal. La chaleur est étouffante, mais malgré tout, l'auditoire reste compact et serré. Le crime est sérieux et la moralité douteuse des accusés font la curiosité du peuple.
Au terme d'un procès intense, le jugement tombe :
  1. la femme Marchadier est condamnée au travaux forcés à perpétuité,
  2. Clément père à vingt ans de la même peine, sans surveillance,
  3. Fleurant fils, à deux ans de prison et à 100 francs d'amende.
En entendant son jugement, la femme Marchadier se penche vers son avocat et demande : « Monsieur, est-ce que j'aurai le cou copé ? »
On emmène les condamnés. Le public se précipite dans la salle des Pas-Perdus où attend déjà une foule immense, près de 3000 personnes, qui débordent jusqu'à la place Saint-Didier. Les autorités ont du mal à se frayer un passage, tandis que des huées des sifflets accueillent les trois sinistres individus à leur arrivée sur la place. Suivis par une bande compacte, ils arrivent enfin en prison, enfin en sécurité, sous les invectives et les menaces.

Fleurant fils s'en sort plutôt bien. Il est établi par la Cour qu'il n'est coupable que de recel de cadavre et on lui accorde les circonstances atténuantes. Il s'installe à Angoulême comme manoeuvre, où il épouse Marie Desvergnes, papetière, en 1885.

Sa mère n'échappera pas à sa fin. Elle mourra en 1902 dans la prison de Rennes :

AD en ligne, Rennes, D - 1902, v.184/286

Pierre Clément est déporté en Nouvelle-Calédonie, où il arrive le 11 août 1881. Il ne survivra pas longtemps, il mourra le 28 décembre 1882, à Nouméa, sur l'île Nou.
  • Archives en ligne,
  • L'avenir de la Vienne, 25, 26 et 27 mai,
  • Journal de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée des 25, 26, 27 et 28.

dimanche 18 novembre 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (11)


AdP 02/04-25/06/1789, v.15
Du 21 mai 1789

Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches

Monsieur, M. le Marquis de Fayolle vient d’établir auprès de son moulin économique, une nouvelle boulangerie pour les pauvres des paroisses voisines. Les indigens, sur le certificat de leur Curé, recevront du pain à sept liards la livre. Ce noble & généreux établissement est digne de la reconnoissance publique, puisqu’il présente une économie qui réunit l’intérêt général à l’intérêt particulier. Car, quoique le pain soit l’objet le plus essentiel de la vie, il n’y a cependant rien de plus négligé & de plus mal entendu, tant pour la mouture que pour la fabrication. 1.° On ne sauroit apprécier la valeur des farines qui se perdent dans les fons. 2.° On ne peut expliquer combien le dégré de chauffage mal observé, la manipulation, les fours mal construits, mal couverts, font perdre de pain & de bois dans les campagnes. Il est prouvé que dans les villes, où les fours sont moins communs, mais mieux faits & chauffés souvent, il est prouvé, dis-je, qu’il en coûte pour la cuisson du pain, six fois moins que dans les campagnes. J’ai vu des Laboureurs acheter un boisseau de blé, le faire moudre, cuire & manger dans un jour, & dépenser plus d’argent pour le bois que pour le blé. Je leur ai montré souvent que du pain n’auroit coûté que deux sous chez le boulanger, revenoit souvent à trois, par la dépense qu’exigent les fours mal faits. Ce qui fait une consommation absolument perdue : car, si le Meunier & le Boulanger trompent, ils en profitent ; mais, si on brûle du bois mal à propos, si par un mauvais apprêt il se perd beaucoup de pain, c’est une perte qui ne profite à personne.
Enfin, en examinant l’ignorance des Meuniers, l’imperfection des moulins, la mouture des blés, la fabrication du pain, le degré de chauffage mal observé, les embarras, l’emploi du temps & le bois qui renchérit le prix du pain, & affaiblit nos ressources, je désire, en bon citoyen, de voir substituer le commerce des farines à celui du blé ; je désire encore plus de voir dans les campagnes des Boulangers fournis aux municipalités, qui, instruits par des essais, veilleroient au prix & à la qualité du pain.
Oui, M., je ne cesse de la dire & de le répéter, si les Boulangers par leurs soins pouvoient seulement gagner la valeur des farines qui se perdent dans le son, s’ils gagnoient l’argent du bois que les fours mal faits consument ; si les Boulangers, enfin, gagnoient ce qui se perd par la mauvaise fabrication du pain qui se fait dans les campagnes, ils deviendroient des millionnaires, & leur richesse seroit même un avantage pour le public, puisqu’ils profiteroient d’une perte qui, bien loin d’être utile à quelqu’un, ne sert qu’à affoiblir nos resources & renchérir le blé.
D’après mille résultats, qu’il seroit trop long de déduire, on peut voir combien l’établissement de M. le Marquis de Fayolle devroit être imité, puisque dans la spéculation & la pratique, il concilie avec la charité une économie essentielle, dans laquelle l’intérêt général est réuni à l’intérêt particulier.
Il y a plusieurs années qu’il arriva dans ce pays un évènement malheureux, qui montre la nécessité de placer dans un lieu sain le pain sortant du four.
Deux bœufs, morts d’une maladie contagieuse, furent dépouillés ; on en plaça les peaux dans une boulangerie : la chaleur du pain attira tellement le poison de ces peaux, que tous ceux qui mangèrent de ce pain, furent empoisonnés.
L’on m’a assuré qu’ayant fait fondre de l’arsenic dans l’eau, & ayant laissé ce poison auprès d’une livre de pain sortant du four, on donna ce pain à un chien, qui en mourut. Hélas ! combien d’accidens & de maladies se communiquent par le défaut de précaution !
D’après une expérience de trois ans, je puis assurer que la farine se conserve très bien en sacs isolés, placés & disposés au milieu des greniers. Ceux qui pratiquent cette méthode peuvent faire l’expérience que j’ai réitérée souvent. Qu’ils prennent de la farine de chaque sac isolé, qu’ils l’exposent au grand air, ils verront qu’en huit jours les mites en dévoreront la faine, tandis que celle de trois ans n’aura éprouvé aucune altération quelconque. L’air & les masses en font la différence, dont tout le monde peut s’instruire, ainsi que des nombreux avantages des farines en sacs isolés.
J’ai l’honneur d’être, &c.

mardi 16 octobre 2012

C'est ce qu'on appelait dans le temps "avoir la Foi"

La recherche d'une ancêtre, Jeanne Delafond, m'a fait découvrir cet acte de sépulture un peu insolite. L'insistance du curé pour prouver la Foi du défunt est bien inhabituelle :

AD en ligne, Blanzay, BMS - 1742-1752, v.37/92
AD en ligne, Blanzay, BMS - 1742-1752, v.38/92

"le treize juillet 1745 après que françois pelain du village de chez bouton paroisse de st-romain, et jeanne delafond son épouse, ont affirmé que défunt pierre brun avoit fait son devoir paschal à champniers et que mr le curé étoit content de luy et que jeanne texereau sa cousine antoinette brun sa soeur andré condac son cousin demeurant au village des champs jean dyon aussi son cousin ont affirmé la mesme chose et qu'il faisoit son devoir paschal et nommement cette dernière année nous avons donné la sépulture chrestienne a défunt pierre brun fils légitime de défunt pierre brun et de jeanne delafond en premières noces lequel est décédé le douze du présent en cette paroisse de blanzay estant tombé du haut d'un cerisier sans avoir pu parler avant d'expirer on lui a trouvé un chapelet dans sa poche qui avec les témoins ci-dessus est une preuve de sa catholicité fait à blanzay le treize du présent mille sept cent quarante cinq"

Cet acte étrange m'apporte - quand à moi - de nombreux détails à exploiter pour remonter la piste du couple Pierre Brun/Jeanne Delafond. La soeur du défunt, Antoinette, citée dans l'acte, est mon ancêtre.

PS : c'est mon deuxième tué par un cerisier (pour Gloria)... Ah, l'attaque des cerisiers tueurs du Poitou !

mercredi 12 septembre 2012

Fourrier de feue Madame la Dauphine

Lors de recherches sur la famille Guitteau, de Poitiers (86), je suis tombé sur cet acte concernant l'un d'eux. Il fut — et cette expression apparaissait déjà à son second mariage en 1724 — fourrier de feue Madame la Dauphine.
Son père, François Guitteau (un grand merci au ge86 pour cette info, le mariage n'étant pas filiatif), fut maître pâtissier dans la paroisse de Saint-Didier.

AD en ligne, Poitiers-Saint-Didier, BMS - 1741-1748, v.38/111
Qui était donc cette Dauphine ? Peut-être la dernière à être décédée avant 1724, c'est-à-dire Marie-Adélaïde de Savoie, épouse de Louis de France, petit-fils de feu Louis XIV et défunt père de Louis XV.
D'après Wikipédia, un fourrier était le sous-officier chargé de l'intendance. Ce terme vient de fourrage, à l'origine, donc, il s'agissait d'un sous-officier de cavalerie chargé spécialement des écuries.

lundi 10 septembre 2012

Jacques Petit, sieur de la Bougonnière (2)

Lors de mon précédent bulletin, je n'avais pas pensé à mes deux ascendances qui apparaissaient également dans le Beauchet-Filleau. L'une, celle des Brothier, sieur de Chambe, s'établit à Voulême (86) : mes ancêtres les plus anciens que je retrouve dans les registres paroissiaux apparaissent dans le tome 2 (page 21 et plus) : Charlotte Brothier, épouse de René Marteau le 2 novembre 1661. Cette filiation n'est pas issue de mes recherches, je n'ai fait que prendre un train en marche.
La seconde entrée dans le Beauchet-Filleau est une découverte récente qui méritera peut-être un article. On trouve, dans le même tome du BF, page 370, une Marie Chein, épouse de  Pierre Guilloteau, qui habitait Payré (86). La date du mariage est fausse, celui-ci ayant lieu en 1655.
Reprenons donc le fil de mon enquête sur le sieur Tribot, le notaire, et ses aïeuls. Merci pour vos encouragements, bonne lecture...

Avant d'entrer dans les détails, essayons de décrypter ce mariage Tribot-Petit. Côté Tribot, on a les deux parents, François Tribot et Marie Blanchard. On a un oncle paternel, Pierre, et un cousin germain, Antoine Tribot. Il n'est pas sûr que ce dernier soit le fils de Pierre, mais c'est une possibilité. Celui que je pense faire correspondre est Antoine Tribot, que j'ai trouvé à Savigné. Il épouse Magdeleine Allain le 7 octobre 1704 (AD en ligne, Savigné, BMS - 1700-1708, v.60/112). Mariage non filiatif, absence de signature, mis à part la présence d'un Jean Tribot, témoin du mariage, le cheminement de cette filiation m'a mené nulle part. Idem pour le Pierre, qui peut être n'importe qui.
J'ajoute que les registres paroissiaux (outre les baptêmes de 1640 à 1644) ne commencent qu'en 1700. Dur, dur, alors, de trouver quelque filiation par ces registres.
J'identifie Pierre Delafond, simple cousin de l'époux (donc peut-être au 3ème, 4ème degré, voir cousin par alliance, etc...) comme étant celui qui fut l'époux de Jeanne Brun puis de Suzanne Boesme, le 26 août 1705 à Savigné (AD en ligne, Savigné, BMS - 1700-1708, v.76/112). Sa signature est significative. Mais là aussi, à part la présence d'un Antoine Tribot, témoin, la piste mène à un cul-de-sac.

Grâce au dictionnaire topographique de la France, tome 27 (dictionnaire topographique du département de la Vienne), rédigé par monsieur Redet (1881), je localisai facilement l'origine du domaine de Laspière. Situé sur l'actuelle commune de Saint-Romain, ce village changea de nom et passa de La Cepère (1494) à La Spière (Cassini), puis Laspière (1841). Actuellement, ce village porte le nom de la Sepière.


Extrait de la carte de Cassini
Laissons les Tribot de côté, alors.

Voyons voir du côté de la mariée. Outre les parents, nous avons Benjamin Dunoyer, sieur de la Pigerie, son oncle, et Pierre Robert, sieur de la Nougeraye, son cousin germain.

Les Dunoyer

Grâce au ge86, je trouvai ce Benjamin Dunoyer sur les registres de Saint-Gaudent (86). En effet, ce joyeux bourgeois, qui paraissait être assez important, se marie en 1693 avec Marthe Bertrand. Son domaine (La Pigerie) est signalé, et Jacques Petit est même donné comme beau-frère. Tout colle, j'ai bien le bon :


AD en ligne, Saint-Gaudent, BMS - 1692-1710, v.10/101
AD en ligne, Saint-Gaudent, BMS - 1692-1710, v.10/101
A propos de la Pigerie, deux villages ont porté ce nom sur la commune de Savigné : La Pigerie et Les Pigeries. Seul ce dernier hameau existe encore actuellement.


Extrait de la carte de Cassini
Isaac Pierre Dunoyer, sieur des Broues, frère de Benjamin et de ma sosa Catherine, est retrouvé grâce à 3 baptêmes à Saint-Gaudent (il est l'époux de Catherine Vaugelade, qui signe également sur ce mariage). Je n'ai cependant pas trouvé d'autre postérité pour ces deux hommes.


Beauchet-Filleau,
tombe 3, page 217 
A ce moment-là, je contactai Jean-Claude, qui, par ses connaissances sur les familles notables de la région, aurait peut-être des éléments me permettant d'avancer. Il en avait, et ce fut particulièrement probant. Je reçus des extraits de deux ouvrages : le Beauchet-Filleau (tome 3, à partir de la page 217), et la Commune de Surin, par Surreaux.

Le Beauchet-Filleau donnait une indication très explicite :


Beauchet-Filleau, tombe 3, page 218
Sauf que quelque chose ne collait pas, car un peu plus loin dans l'ouvrage, on trouve la note suivante :


Beauchet-Filleau, tombe 3, page 218
Il n'est pas possible que les Beauchet-Filleau et de Chergé, ou leurs collaborateurs, n'aient pas vu cette indication dans le mariage de Benjamin Dunoyer : frère d'Isaac Pierre ! Et de toute façon, Marthe Bertrand (prénommée Marie dans le BF) n'est pas la fille de Samuel Bertrand, sieur de la Pommeraye, mais sa soeur. Le Beauchet-Filleau peut être un Saint-Graal comme une lame à double tranchant. Je reçus une bonne leçon ce jour-là : toujours vérifier ses sources, analyser, interpréter ! Ma manière d'étudier les filiations changea du jour au lendemain.
Cette erreur, toutefois, est relevée partiellement dans le livre de Surreaux. Celui-ci, étudiant l'histoire de son petit village de Surin (86), retrace une partie de la famille Dunoyer qui s'y établit au début du XVIIIème siècle. Il reprend les notes de Monsieur Bobe, auteur de l'Histoire de Civray, et surtout cette famille Dunoyer qui semble incohérente dans le BF.
C'est grâce à l'inventaire après décès d'Antoine Dunoyer, époux de Marie Crozé (indiqué comme fils de Pierre Dunoyer et de N. Vaugelade dans le BF), du 2 août 1666, que Monsieur Bobe a réussi à reconstituer la filiation qui m'intéresse : Antoine Dunoyer (époux de Marie Crozé) est le fils de Pierre Dunoyer et de Françoise de la Dugue (noms isolés dans le BF). Ce dernier est le fils d'un sieur du Bois-Bertrand et a comme frère Benjamin l'assesseur, placé en mauvaise filiation dans le BF.
Ce qui donne :

DUNOYER N., sieur de Bois Bertrand, paroisse de Saint-Pierre-d'Exideuil, qui eut comme enfants :

  1. Pierre Dunoyer, qui suit,
  2. Benjamin Dunoyer, sieur de la Chastre, avocat au Parlement, puis conseiller du roi, assesseur en la maréchaussée de Civray, juge à Saint-Maixent, fait plusieurs acquisitions en 1645 et 1650. Il épousa, vers 1620, Jeanne Duboys. Il paraît agir souvent de concert avec son frère Pierre, sieur de la Grange. C'est ainsi que celui-ci, demeurant au Brouhes à Saint-Gaudent, afferme le 15 juin 1639, au nom de Benjamin Dunoyer, absent, une maison, jardin et ousche appartenant à ce dernier, appelée la Touche, touchant le chemin allant du dit lieu de la Tousche au cimetière à senestre (aujourd'hui l'hôtel du Cygne à Civray).
DUNOYER Pierre, sieur de la Grange, avocat à Civray, décédé avant le 23 avril 1660, date du testament de Françoise de la Dugue, sa veuve, en faveur de Catherine Dunoyer, sa fille, épouse de Paul Chein, sieur de Périssac. De cette union, naquirent au moins deux enfants :
  1. Catherine Dunoyer, épouse de Paul Chein, sieur de Périssac, à Limalonges (79). J'ai poursuivi les recherche de Bobe, en trouvant le mariage de leur fille Catherine Chein, née vers 1664, avec David Le Mareschal, sieur de Belle-Plaine, né vers 1659, le 23 octobre 1684 à Chef-Boutonne (mariage protestant). Ces derniers auront au moins deux fils : Gédéon Le Mareschal, né en 1685, et Jean Le Mareschal, écuyer, sieur de Chambelle et de Belle-Plaine, époux de Claude Thérèse de Massougne (~1688-1753). La filiation se continue avec deux fils du dernier couple : Jean et Charles Le Mareschal.
  2. Antoine Dunoyer, sieur des Brouhes de Saint-Gaudent, protestant militant, marié à Marie Crozé, également de famille protestante (donné même comme fille du ministre de la Roche Crozé), avec laquelle il habite aux Pigeries, paroisse de Savigné.
Antoine Dunoyer fait une vente le 25 février 1665 et est mort bien sûr avant son inventaire après décès. De son mariage avec Marie Crozé, Antoine Dunoyer a eu une fille, Catherine, d'après un acte de 1691. Elle est remariée à ce moment-là à Jean Petit. Catherine, son époux Jacques Petit, sieur de la Bougonnière, vivent ensemble aux Pigeries de Savigné, avec Marie Crozé en 1701, lorsque la vieille dame est inhumée. Benjamin, son fils, et Jacques Petit, son gendre, sont indiqués :

AD en ligne, Savigné, BMS - 1700-1708, v.45/112
Après la découverte de cet acte, j'ai pensé que feu Jean Petit, second mari de Marie Crozé, est le père de Jacques Petit. Je situe le mariage Petit-Dunoyer vers 1680/1685, il a très bien pu y avoir également un deuxième mariage (celui de parents survivants des deux époux). Mais cela n'engage que moi.


Les Robert

Croyez-moi ou non, mais lorsque je rentrai Pierre Robert dans mon fichier Heredis, une autre occurrence de ce nom m'est apparu : Pierre Robert, né le 23 avril 1680 à Champniers (86), fils d'Alexandre Robert et de Françoise Petit. Comprenez mon étonnement ! Ça collait parfaitement, en considérant que Jacques Petit et Françoise Petit étaient frère et soeur. Quel retournement de situation, quel suspense !


AD en ligne, Champniers, BMS - 1688-1690, v.102/110
Dans mon arbre généalogique, coincés quelque part, j'avais Perrette Robert, sosa n°7399, épouse de Louis Girardière, et Gaspard Robert, son frère, sosa n°7192, époux de Perrette Bot. Cette fratrie est issu du couple Jean Robert (~1600/1672) et Antoinette Garnier (~1602/1677), et, je ne sais pour quelle raison, la recherche de leur descendance me passionne depuis de nombreuses années. De temps en temps, je prends un petit moment pour suivre l'évolution d'un couple, pour trouver leurs enfants, etc... Cette recherche, si elle vous intéresse, est accessible sur Geneanet par ici.

Alexandre Robert est un frère de Perrette et Gaspard, et donc un fils de Jean et d'Antoinette Garnier. Cependant, je ne pus remonter plus loin. Et Françoise Petit demeura orpheline.

(A suivre)