Du 6 avril 1786,
Lettre d’un Curé des environs de Civrai, à l’Auteur des Affiches.
Plusieurs de mes paroissiens, M., ont été attaqués de la dissentrie pendant le mois de décembre dernier ; d’après l’éloge & l’expérience qu’un de mes confrères avoit fait de l’alkali volatil fluor, j’en ai fait prendre souvent à mes malades dans leur tisane. On peut l’administrer jusqu’à dix gouttes dans une décoction de racines de polypode de chêne ; il m’a produit un très prompt succès. J’ai mis aussi en usage la poudre spécifique que M. l’intendant nous envoye : elle a produit de très bons effets ; mais l’alkali est un remède très prompt & très efficace ; de façon qu’il n’a péri qu’une femme qui n’a voulu prendre ni poudre, ni alkali.
J’ai encore éprouvé depuis six ans, que le seigle & la racine de polypode, font une tisane qui seule opère une évacuation douce : tous mes malades la boivent sans dégoût, & préfèrent le seigle à l’orge, & la racine de polypode à la réglisse ; ils avouent que le seigle est plus doux, plus laxatif, & que la racine de polypode est plus agréable & plus rafraîchissante que la réglisse. D’ailleurs le polypode ne coûte rien, il est très commun sur les vieux murs & aux pieds des chênes. La douceur de cette tisane plaît tellement aux enfans, que j’ai vu des pères & mères en promettre pour récompense.
Voilà ce que l’expérience m’a confirmé ; je n’entends point faire la guerre ni à la tisane d’orge & de réglisse ; mais d’après l’expérience qui est la maîtresse des arts je pose en fait ; que le seigle est plus doux que l’orge, & la racine de polypode, plus laxative que la réglisse.
Je m’attends bien qu’on va crier, voilà un Curé médecin, & qui a le goût de la nouveauté. J’avoue que je suis souvent Médecin malgré moi ; mon état, mon devoir & mon inclination me forcent souvent à soulager de pauvres malheureux sans secours ; je n’aime point la nouveauté, mais je recherche ce qui peut secourir l’humanité souffrante.
D’ailleurs le Clergé & le Gouvernement, en nous envoyant des remèdes, ont bien vu que la communication continuelle que nous sommes obligés d’avoir avec nos paroissiens, nous mettoit dans le cas d’appliquer les remèdes qui conviennent à leurs excès & leurs possessions ; ils ont bien vu que notre éducation pouvoit nous faire saisir facilement les occasions favorables d’administrer les remèdes. Tout le monde fait que c’est la nature, la raison & le sens commun, qui ont formé la Médecine ; que cette Médecine même exige souvent plus de réflexion que de remèdes, & surtout dans les campagnes où il existe tant de préjugés destructeurs & nuisibles, qu’une morale douce & consolante peut guérir plutôt que toute la Pharmacie. Nous ne pouvons à la vérité faire aucune expérience ni hasarder aucun remède sans connoissance de case ; mais en faisant choix d’Auteurs qui peuvent suppléer au défaut des Médecins, & et consultant la nature, la raison & le sens commun, on formera bientôt une pratique qui pourra servir d’un guide sur et invariable : létude des faits rend toujours ingénieux, pour soulager l’humanité souffrante. Un Curé est plus propre par son éducation & la connoissance de ses paroissiens, à saisir les circonstances heureuses. Combien de fois les Curés sont-ils devenus Médecins malgré eux ? Combien de fois après avoir donné des secours à l’âme, n’ont-ils pas trouvé moyen de secourir le corps ? Il fautconnoître les préjugés des gens de campagne, leur pauvreté, leurs nourriture, leurs travaux, pour être à même de les soulager. Les Curés sont témoins des souffrances des malheureux, que les Médecins qui ne sont appellés que dans les endroits où le vin & les alimens sont contraires à leurs malades ; il faut donc quelquefois malgré soi vaincre la crainte que nous impose notre état ; il faut donc que notre sensibilité fasse un effort contre cette crainte qui peut devenir pernicieuse à l’humanité souffrante. Les Médecins ne connoissent pas souvent, & ne peuvent pas connoître les foiblesses des gens de campagne, qui ne peuvent se résoudre à avouer certaines infirmités auxquelles ils sont sujet, ce qui occasionne quelquefois des traitements contraires à leurs maladies, & fait que ces malheureux périssent, au lieu d’être soulagés ; il faut les tromper malgré soi. Comme ils n’ont de confiance que dans les remèdes, j’ai été souvent obligé de leur faire prendre trois grains de sucre ordinaire, dans trois pintes d’eau, pour tromper cette aveugle confiance : je ne saurois jamais vous nombrer combien mon sucre a guéri de malades, tant il est vrai qu’en écoutant la voix de l’humanité & de la raison, en consultant & étudiant leurs préjugés, on peut guérir des esprits à bien peu de frais.
J’ai l’honneur d’être, etc.
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