dimanche 23 décembre 2012

Le reclus du Pont-Neuf (1876)

Elle court, elle court, la rumeur de séquestration, en cette ville de Poitiers en ce 8 décembre 1876.

Le lendemain, M. Simon, commissaire de police, ayant été avisé par ces bruits qui courent, se rend, accompagné d'un agent, au lieu dénoncé par la rumeur publique, c'est à dire chez la veuve Bagouin, au commencement du faubourg du Pont-Neuf.
Aux premières question adressés par le policier à cette femme, celle-ci nie avoir quelqu'un chez elle ; puis, se plaçant en face d'une porte dissimulée par une vieille tapisserie, elle finit par dire : « Enfin, si j'ai quelqu'un chez moi, cela ne vous regarde pas ! » Se mettant en travers de la porte, elle déclare au magistrat qu'il n'ira pas plus loin.
« Madame, déclare-t-il, faites descendre la personne qui est dans le grenier. »
A ces mots, on entend, derrière cette porte, une voix qui dit : « Non, je ne descendrai pas ; la Société ! La Société !! Canaille, clique !! Toujours la même chose ! »
Mme Bagouin ayant finalement ouvert la porte, les policiers aperçoivent alors en haut de l'escalier du grenier un homme de 35 à 40 ans, aux cheveux longs et en désordre, qui crie et gesticule.
Il s'agit du fils Ferdinand Bagouin, 40 ans, ex-employé de commerce. « Il est ici depuis un an ou deux, ajoute-t-elle, je le garde parce qu'il n'a plus sa tête à lui. »
On veut l'interroger, mais il refuse de répondre, répétant à l'envie : « La Société ! La Société ! etc., etc . » Puis il déclare dans un moment de rare lucidité qu'il a servi dans les zouaves de Charette, qu'il s'est battu au Mans, etc. Il n'a pas été possible de tirer autre chose de lui que des propos incohérents.

Les voisins prétendent que le malheureux est dans cette situation depuis 4 ans.

Le parquet se défiant de la rumeur et jugeant satisfaisantes les réponses de la mère, aucune poursuite ne sera dirigée contre elle.

Cette histoire fera tout de même l'objet d'un article dans le quotidien parisien le Petit Journal, édition du 10 décembre 1876 (ci-contre). On se rend compte, finalement, qu'en cette fin de siècle, Poitiers vivait sous la terreur de la criminalité, et qu'une affaire, visiblement moins criminelle qu'elle n'y paraissait au départ, a vite fait de répandre la rumeur populaire, avec le lot de méfiances et de médisances que l'on connaît. On s'est monté le bourrichon ! aurait dit Flaubert, s'il avait eu vent de cette histoire.

N'oublions pas que quelques années plus tard, en 1901, sera découverte la célèbre "séquestrée de Poitiers", Blanche Monnier, détenue par sa mère et par son frère pendant près d'un quart de siècle.

Le fin mot de l'histoire est simple : un an auparavant, la femme Bagouin vivant seule depuis le décès de son mari, elle entendit au milieu de la nuit qu'on frappait discrètement à sa porte. C'était son fils, qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps. Mais quel changement s'était opéré en lui ! La pauvre femme avait de la peine à le reconnaître. L'altération de ses traits, le délabrement de ses vêtements attestaient plus que ses paroles la triste existence qu'il avait menée.
A la suite de chagrins successifs, sa raison paraissait même l'avoir abandonné. Il demandait à vivre loin des hommes, auxquels il imputait tous ses malheurs. La mère l'avait accueilli et s'était condamnée à ne plus recevoir de visite pour ne pas importer son fils malade.
Prisonnier mais libre de circuler dans les deux chambres du logement de la veuve Bagouin, le fils aidait sa mère aux travaux de couture, seule source de revenus qui leur permettait de vivre. Malgré les précautions qu'il prenait, on l'avait finalement aperçu un beau matin.

Sources :
  • Le Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres, 9 décembre 1876 et 11/12 décembre 1876,
  • Le Journal de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée,  9 décembre 1876 et 11/12 décembre 1876.

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