mercredi 21 mars 2012

Lettres d'un Curé des environs de Civrai (1) - 2e


AdP 06/10/1785 - 29/12/1785, v.1 (n°40, p.1)
Du jeudi 6 octobre 1785

Fins des Observations d’un Curé des environs de Civrai

Quoique étonné dans mon peu de succès & trompé dans mon opinion, je vais exhorter & même forcer les métayers de ma famille à faire choix de leur blé de semence, le chauler sur le champ, le faire secher & le conserver dans un lieu sec ; car quoique mes expériences me fassent connoître le peu de solidité de mon jugement, je présume que la chaux peut détruire tous ces insectes ; & ensuite je ferai plonger dans l’eau bouillante tout le reste de la récolte.
Mais excusez ; si on faisoit chauler tout le blé comme s’il devoit être fermé, cette chaleur ne détruiroit-t-elle pas les œufs de nos plus grands ennemis ? On laisseroit même la chaux sur le grain jusqu’à ce qu’il fut lavé comme on le lave en Angoumois ; car c’est un usage dans plusieurs pays de ne faire moudre aucun blé avant d’être lavé. Cette opération seroit couteuse, me dire-vous ; mais cependant je suis persuadé que les boulangers acheteroient préalablement ce blé qui lavé donneroit une farine sans pourriture ni nielle ; & bien plus, ceux qui cherchent du blé de semence, iroient plus hardiment dans les greniers où il se trouveroit du blé chaulé ; car aujourd’hui le peu de bonne foi qui règne, doit faire frémir en voyant tous les jours à quel point on trompe de toutes les manières sur toutes les marchandises qui devroient être sacrées. Ce système est nouveau ; mais rien ne doit vous étonner de la part d’un citoyen comme moi.
Ce qui m’allarme, c’est de voir des seigneurs et propriétaires prendre si peu de précautions en bâtissant des greniers, & de voir beaucoup de raisonnements & peu de succès dans les expériences qu’on propose tous les jours.
Qu’on fasse bâtir des greniers dont les murs soient assez épais pour entretenir le même degré de chaleur, des greniers ouverts aux quatre vents & dont les fenêtres étroites puissent servir de ventillateur continuel, l’humidité ne fera plus fermenter le blé ; on connoît la fraîcheur qu’on éprouve à la serrure d’une porte, on connoît la fraîcheur d’un soufflet, &c.
Je ne cesserai de rapporter l’expérience que j’ai vu faire il y a cinq ans. Un fermier place dans une tour dont les murs ont six pieds d’épaisseur, une partie de la récolte d’un champ, & une autre partie dans le château ; cette dernière portion fut détruite & consommée par le papillon, au lieu de celle qui fut déposée dans la tour est encore saine ; la raison en est naturelle, c’est que la chaleur & le même droit s’y soutiennent d’une manière invariable. En effet, empêchez les perpétuelles alternatives du chaud & du froid, on empêchera la fermentation & l’accouplement des insectes.
D’ailleurs, la nature est ingénieuse, féconde & inépuisable dans ses leçons. Les insectes sont instruits du lieu, du temps & du moyen qu’il faut employer pour leur multiplication, & ils choisissent bien un lieu qui puisse fournir la pâture à leurs petits. Un papillon ne déposera jamais ses œufs dans un endroit frais.
En effet, qu’on ôte la fermentation, qu’on ôte le relâchement des pores du grain de froment, qu’on empêche la naissance des œufs, la génération sera bientôt détruite ; car quoique les blutoirs & moulins nettoyent le blé, ils n’empêchent pas le vent de midi d’augmenter l’échauffement ; mais en construisant des graniers avec des murs & des fenêtres comme dans la tour dont j’ai parlé plus haut, avec des ouvertures étroites qui serviront d’un ventillateur continuel, jamais le degré de chaleur n’y pénétrera pour faire éclore les œufs des insectes.
Mais, me répondra-t-on, tout le monde ne peut pas faire les frais de pareils greniers. Cependant il faut, ou empêcher les perpétuelles alternatives du chaud & du froid, ou il faut interdire la transpiration & l’accès de l’air extérieur, pour préserver tous les corps de la corruption. Le grain qu’on trouva à Metz en 1707, celui qui se trouva à Sedan, font une preuve que, si on soustrait l’air extérieur, on détruira le papillon & on conservera le blé. En 1783, on trouva du seigle très sain dans une cave du vieux château de Civrai ; on a conservé trois cent ans trois œufs dans un mur d’église dans le Milanais ; ce blé & ces œufs n’avoient rien perdu de leur fraîcheur, odeur & saveur ; ainsi qu’on ôte l’air extérieur, on ôtera toute corruption.
Je vous observerai encore que ceux qui ont semé de bonne heure ne sont pas si malheureux que les autres ; ils éprouvent la vérité de ces vers très anciens :
Si tu veux bien moissonner,
Ne crains pas trop tôt semer.
N’ignorant pas que le peuple du Nord se sert de la cendre de fougère, au lieu de savon, pour nettoyer le linge, je conseillai à un de mes paroissiens de prendre beaucoup de fougère, la faire brûler dans un champ avant de semer du seigle. En effet, on fuma à un bout du champ avec de la cendre de fougère, & on mit à l’autre bout du fumier d’écurie ; la cendre a produit un meilleur effet ; ce qui ne doit étonner, parce que les cendres de fougère pétries dans l’eau fournissent beaucoup de sel & que la décomposition fournit un véritable humus. J’ai l’honneur d’être, &c.

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