mardi 28 août 2012

Lettre d’un Curé des environs de Civrai (9)


AdP 02/10-25/12/1788, v.5
Du 16 octobre 1788

Lettre d’un Curé des environs de Civrai

Persuadé, M., qu’en s’occupant d’agriculture, on devient utile à l’humanité, je me suis toujours fait un vrai plaisir des nouvelles découvertes que j’ai pu faire en ce genre. Pour l’encourager dans ma paroisse, je ne cesse de faire l’éloge de mes laboureurs, & de leur représenter que l’art qu’ils professent est le premier & le plus utile de tous ; je leur démontre que les plus anciens & les plus grands rois de l’antiquité se faisoient honneur d’être agriculteurs ; que les anciens patriarches s’adonnoient tous à ce travail, & que celui qui étoit le plus capable étoit le plus considéré. Je leur parle de l’hommage que l’empereur de Chine lui rend tous les ans, en conduisant lui-même la charrue ; je défirerois enfin pouvoir faire de mes paroissiens des gens instruits & de vrais agriculteurs ; mais ils sont trop attachés à leurs anciennes méthodes, & quand une fois ils ont dit : mon père l’a fait, je le ferai, on ne peut les faire changer.
M. ***, près Melle, a pourtant trouvé le moyen de faire quitter à ses laboureurs l’usage de semer du grain mélangé. Il s’est transporté sur ses terres à la fin du bail de ses fermiers, & a mis pour clause essentielle dans le renouvellement de leur ferme, que tout colon qui semeroit du brizeau, méteil, méture & autres grains mélangés, seroit dans l’instant déchu de sa ferme, sans aucuns dommages et intérêts. Si tous les propriétaires agissoient ainsi, l’on verroit nos laboureurs semer le grain pur, & ne pas s’exposer à une perte évidente par le mélange qu’ils font. En effet, personne n’ignore que tous les grains ne mûrissent pas à la fois ; si l’on sème de l’orge & du froment ensemble, l’orge sera mûre longtemps avant le froment ; si l’on attend la maturité du dernier, tous les grains d’orge seront perdus, il ne restera que la paille ; si l’on moissonne lorsque l’orge est mûre, le froment ne le sera pas, alors la perte est réelle. Ainsi, M., d’après ce foible exposé, je pense comme le seigneur cité ci-dessus, que l’on ne devroit jamais faire aucun mélange de grain, qu’il faudroit semer chaque espèce particulièrement, & qu’alors cela procureroit une plus sûre & plus abondante récolte.
Tout Curé de campagne doit être ou est un bon paysan ; ainsi donc, je vous dirai avec la franchise que ce mot caractérise, que je crois que l’influence des vents agit beaucoup sur les semences. Tout le monde sait qu’ils changent la constitution de l’atmosphère ; que les vents du midi & du nord affectent singulièrement nos corps. Ainsi, d’après les observations que j’ai faites, je conclus que celui qui a égard aux vents qui soufflent lors de l’emblavaison, sera plus favorisé que celui qui n’y fera aucune attention.
J’ai l’honneur d’être, &c.

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