jeudi 28 mars 2013

Bouriaud, Ferdinand (1790-1846)

Nécrologie des maires de Poitiers

On lit dans le Journal de la Vienne, n°124, du jeudi 15 octobre 1846 :

Les obsèques de M. Bouriaud, ancien maire de Poitiers, ont eu lieu hier avec la pompe qu'exigeait la position du défunt.
Un sentiment de stricte justice défendait de disputer à la mémoire de celui qui n'était plus, les honneurs dus au rang qu'il avait occupé parmi nous ; chacun applaudit à l'acte de haute convenance par lequel notre administration provisoire a si bien exprimé au nom de la cité sa reconnaissance pour des services qu'elle ne saurait oublier.
A onze heures du matin, le deuil s'est réuni dans la maison mortuaire. Là se trouvaient représentés tous les rangs, toutes les classes, toutes les nuances d'opinions, confondus dans un sentiment commun, bien honorable pour celui qui en était l'objet. Les regrets de tous, les causes de ces regrets ont été successivement exprimés avec chaleur par MM. Drault, député de la Vienne ; Grilliet, ancien président du tribunal de commerce, et par M. Arlin, organe du corps municipal, à la tête duquel l'a placé le voeu de ses concitoyens.
Le cortège s'est mis en marche : le deuil était conduit par MM. Tempoure, maréchal de camp, commandant le département de la Vienne, et Arlin, maire provisoire de la ville de Poitiers. Les quatre coins du poêle étaient portés par MM. Collinet, premier adjoint ; Dupuis-Vaillant, Grilliet et Delalleau.
Le conseil municipal, les fonctionnaires publics, la société philanthropique toute entière, et un très-grand nombre de citoyens les plus honorables de la cité, accompagnaient le cercueil, qu'escortaient en outre la compagnie des sapeurs-pompiers de la ville.
Le cortège a suivi la rue Neuve, a défilé devant la porte de l'hôtel de ville, que décoraient des tentures noires semées de larmes et ornées des armoiries du corps de ville, et s'est rendu au bruit des cloches funèbres dans l'église de St-Porchaire, où l'attendaient un concours immense de fidèles et la plupart des membres du clergé de Poitiers.
Après le service, pendant lequel la musique de la garde nationale a exécuté des marches funèbres, le cortège s'est dirigé dans le même ordre vers le cimetières de la Pierre Levée. — M. David de Thiais a prononcé sur la tombe quelques paroles vivement senties, et les derniers honneurs ont été rendus aux restes mortels du défunt.
En présence des démonstrations publiques dont la mémoire de M. Bouriaud a été l'objet, il est impossible de méconnaître que son zèle, son dévouement et sa capacité ont été justement appréciés.
Mais, hélas ! ces témoignages sans équivoques d'une sympathie générale ne peuvent adoucir l'amertume des regrets que cause toujours la perte d'un époux, d'un père, et il est des douleurs auxquelles on ne saurait offrir des adoucissements. A celles-ci, laissons les consolations intimes qui ne manquent jamais à une famille chrétienne ; celle qui pleure aujourd'hui son chef les a déjà trouvées dans de doux motifs de résignation et d'espérance.



Discours de M. Drault

Messieurs,
La mort compte une victime de plus, et nous nous pressons en grand nombre autour du cercueil d'un homme de bien. Avant que la terre ne reçoive sa dépouille mortelle, et que la tombe ne se referme sur lui, permettez-moi d'accomplir un pieux devoir. Je viens, moi qui fus son ami, moi qui l'ai si bien connu, vous rappeler en peu de mots quelle fut la vie du citoyen, du père de famille, objet de tant d'estime et de tant de regrets.
Enfant de notre ville, M. Bouriaud a fait de brillantes études au collège de Poitiers. Destiné de bonne heure au commerce par sa famille, il entrait à dix-neuf ans dans l'un des premières maisons de Paris, la maison Ternaux, dont il obtint de suite la confiance et bientôt la direction. Aimé autant qu'il était estimé de son illustre chef, qui le regardait comme son fils, l'empoyé de choix avait aussi sa place au salon, où il se trouvait en rapport avec les sommités de l'apoque. Aussi bien partagé sous le rapport des avantages physiques que sous le rapport des qualités morales, notre jeune compatriote fixa l'attention d'un des plus célèbres généraux de l'empire, le lieutenant général Clausel, décédé naguère maréchal de France, qui lui proposa de l'emmener avec lui en Espagne, en qualité de secrétaire intime. M. Bouriaud, cédant à ses goûts particuliers, partit avec le général ; et il eût suivi avec bonheur la carrière des armes, s'il eût dépendu de lui de choisir. Mais un bon fils n'est jamais libre, et, au premier appel de ses parents alarmés, le jeune officier déposa son épée et revint dans notre ville, où il prit la suite de la maison de commerce fondée par son estimable père. Ce fut alors qu'il se maria. Nous savons tous, Messieurs, avec quelle haute probité le jeune négociant conduisit ses grandes entreprises, et comment, en peu de temps, par son intelligence et son amour de l'étude, il acquit une connaissance profonde des affaires commerciales et du droit qui les régit. Bientôt la confiance des notables alla chercher dans son cabinet le négociant légiste, pour le placer sur le siège du tribunal de commerce. C'est là qu'en sa qualité de président, au aurait pu dire inamovible, il prouva la solidité de son savoir, son talent d'application et l'énergie de son caractère. On ne fait que lui rendre justice, Messieurs, en proclamant bien haut que c'est à ses heureux et constants efforts que le tribunal de commerce de Poitiers doit le rang distingué qu'il occupe parmi les juridictions consulaires.
Désireux d'acquérir des connaissances nouvelles et variées, le travailleur infatigable se tourna vers le droit administratif. M. Bouriaud, acceptant les suffrages de ses concitoyens, devint conseiller municipal, et bientôt adjoint au maire de Poitiers. Dans cette position nouvelle, il ne fut pas longtemps à faire preuve d'une grande aptitude administrative et de la connaissance raisonnée des lois, ordonnances et règlements qui régissent la matière. La place de M. Bouriaud était désormais marquée, et un gouvernement intelligent et honnête l'appela, en 1840, l'homme de bien, l'homme d'expérience et de savoir, à la tête de l'administration d'une sous-préfecture. Tout le monde sait avec quelle supériorité M. Bouriaud s'est acquitté de ses délicates fonctions, et quels souvenirs il a laissés dans la ville et dans l'arrondissement de Rochechouart. La population entière, sans distinction de couleur ou de parti, a regardé comme un jour de deuil celui où elle a perdu le bon administrateur, l'homme délicat qui croyait à la morale, et qui la voulait et la pratiquait partout, dans l'administration comme dans le moule et dans la famille. Destitué de ses fonctions, M. Bouriaud, descendant au fond de sa conscience, pensa qu'il était victime d'une erreur ; on le lui dit, il dut le croire : il espéra une réintégration qui lui fut promise.
Ai-je besoin de vous dire, Messieurs, comment notre honorable compatriote occupa le temps de sa disgrâce, qu'il regardait comme transitoire ? Ne connaissons-nous pas tous son Manuel administratif, oeuvre laborieuse, savamment organisée et distribuée, et qui porte l'ordre et la lumière dans le dédale inextricable et notre droit administratif ? Nous savons tous comment il a su faire marcher de front avec ce grand travail, le travail plus grand encore de notre administration municipale.
Justement fier de son passé, fier des connaissances nouvelles qu'il acquérait tous les jours, M. Bouriaud se regardait comme voué à l'administration, et longtemps il a espéré que le gouvernement le rappellerait à lui. L'espérance est légitime, mais ne devait pas se réaliser. Vingt promesses décevantes ont enfin éclairé cette âme naïve et honnête ; il a vu, après plusieurs années d'attente, que c'en était fait de la carrière pour laquelle il avait tant travaillé et dont il était si digne, et cette conviction l'a frappé au coeur. Bien des personnes ont pensé, et elles ne se trompent pas peut-être, que la longue injustice dont il a été l'objet l'avait, par degrés, conduit au tombeau. On lui a donné la croix de la Légion d'Honneur, mais si tardivement, qu'on semble ne l'avoir déposée que sur son cercueil.
J'ai parlé, en commençant du père de famille... Le coeur m'a manqué devant mon papier, quand j'ai songé à en faire le tableau ; la force me manquerait pour vous le dire. Je me bornerai à ces quelques mots : il fût le digne chef d'une belle et vertueuse famille.
La mort a tout détruit : ces liens si chers, cet amour du travail, ces connaissances profondes, ce dévouement à ses concitoyens. Je me trompe, Messieurs, tout ne finit pas avec l'homme, même pour ce monde, où le mérite et la vertu laissant des souvenirs impérissables. M. Bouriaud se survivra comme homme public par le bien qu'il a fait et par des travaux qui honoreront sa mémoire, et les sentiments de vive affection qu'il méritait à tant de titres, comme homme privé, ne s'éteindront jamais dans le coeur de sa famille et de celui de ses amis.



Discours de M. Grilliet

Messieurs,
Dans ce moment solennel, dans ce moment de recueillement et de tristesse publique qui accompagne toujours la mort d'un bon citoyen, qu'il me soit permis, en ma qualité de président du tribunal de commerce et d'ami du défunt, e vous dire à quels titres M. Bouriaud emporte dans la tombe nos affections les plus vives et nos plus profonds regrets.
Je ne vous parlerai pas de M. Bouriaud comme maire de Poitiers, Messieurs : les établissements utiles qui se sont fondés sur lui, l'état prospère des finances de la communes, les améliorations de toutes sortes frappent trop incessamment vos regards pour qu'il soit nécessaire de vous dire les merveilles de son administration.
Je ne vous parlerai pas de ses vertus privées ; son dévouement sans bornes à ses amis, l'excellence et la pureté de ses moeurs domestiques vous sont assez connus.
Mais ce que vous ne savez pas et ce que je puis vous dire, ce sont les talents et les rares qualités qui lui ont assigné la place qu'il occupait dans la magistrature consulaire d'une manière si brillante.
M. Bouriaud était un de ces hommes studieux et intelligents qui apportent toujours le progrès dans toutes les choses d'administration qui leur sont confiées ; aussi son avènement à la présidence du tribunal de commerce fut-il pour cette juridiction le signal de réformes utiles et importantes. Le règlement intérieur surtout subit des modifications qui imprimèrent aux affaires une marche plus régulière.
Le greffe, ce dépôt précieux, pour les parties, des jugements qui ont terminé leurs différends ; le greffe, quoique laissant peu à désirer dans sa tenue, était l'objet contant de son attention : rien n'échappait à son intelligente investigation et à son infatigable activité. Je le dis en toute humilité, Messieurs, si sous ma présidence l'administration du tribunal de commerce a convenablement marché, cet avantage n'est dû qu'aux bons enseignements laissés par M. Bouriaud.
A ces éminentes qualités de l'administrateur, M. Bouriaud en joignait de non moins précieuses pour les justiciables : profondément instruit dans la législation commerciale, doué d'un tact parfait pour distinguer le côté où était le bon droit, consciencieux dans la délibération, magistrat intègre, chacun était sûr de trouver en lui un juge aussi équitable qu'éclairé.
Voilà, Messieurs, l'homme précieux que la mort nous a si cruellement ravi à un âge où il pouvait rendre encore d’importants services ; voilà le bon citoyen, l'honorable magistrat, l'excellent époux, le vertueux père de famille ! voilà l'ami que nous pleurons tous ; puisse l'expression de nos regrets adoucir les chagrins de sa famille éplorée, puissent nos vives douleurs lui rendre légère la terre qui va le dérober pour jamais à nos plus sincères affections !



Discours de M. Arlin

Messieurs,
Appelé, par rang de suffrage électoral et par application exacte de la loi, à remplir provisoirement les fonctions de maire de la ville de Poitiers, je viens, au nom du conseil municipal et au nom de la population tout entière, déposer sur la tombe de M. Ferdinand Bouriaud nos hommages et nos regrets.
En face de cette imposante manifestation de la douleur publique, et de l'empressement que les hommes de toutes les classes, de toutes les opinions, mettent à suivre son cercueil, je sais combien il me serait difficile de faire un éloge digne de l'administrateur distingué et de l'ami dévoué que nous venons de perdre.
Je ne vous dirai point, Messieurs, les diverses circonstances de la vie toujours active et laborieuse de M. Bouriaud ; je laisse ce soin à un autre ; permettez-moi seulement de rappeler en peu de mots tout ce qu'il a fait dans l'intérêt de notre ville.
Ce fut en 1831 que ses concitoyens l'élurent membre du conseil municipal ; c'est là le commencement de sa carrière administrative ; c'est aussi là trop souvent le début d'une existence de peines, de luttes et d'agitations ; autant et plus qu'à tout autre peut-être, cette épreuve ne lui a pas manqué. On voit quelquefois, mais rarement, surtout de nos jours, des hommes pleins de coeur et d'énergie, ne reculer devant aucun sacrifice personnel, quand il s'agit d'accomplir leurs devoirs, ou de rendre à leurs concitoyens des services désintéressés.

M. Bouriaud fut de ce nombre.
A deux reprises différentes, il fut appelé à prendre part à l'administration municipale de la ville de Poitiers, d'abord comme adjoint, plus tard comme maire. Vous l'avez tous vu à l'oeuvre, et le souvenir des trois dernières années de son existence est un de ces souvenirs qu'une cité doit conserver avec respect ; il n'était pas seulement le premier de ses concitoyens par les fonctions aussi pénibles qu'honorables dont il était revêtu ; il l'était aussi par son zèle, par son dévouement à la prospérité de la ville. Aussi que d'améliorations importantes accomplies en 3 ans, et dont son nom rappellera toujours le souvenir : l'extinction de la mendicité, mesure aussi sage que philanthropique ; la création et l'agrandissement de salles d'asile ; l'extension de l'éclairage au gaz ; l'application d'un nouveau mode de perception d'octroi à la fois plus moral et plus productif ; l'établissement d'écoles de natation et d'équitation ; la continuation d'un meilleur service de pavage qui rajeunit en quelque sorte notre vieille ville, et beaucoup d'autres travaux qu'il serait trop long d'énumérer ici !
Oui, Messieurs, c'est à lui, c'est à ses adjoints, qui rivalisaient avec lui d'activité et d'intelligence ; c'est au conseil municipal, qui, après avoir ouvert la voie du progrès, a loyalement secondé son administration de tous ses efforts, que tant d'améliorations essentielles sont dues, M. Bouriaud y a sacrifié sa vie, l'intérêt de sa fortune peut-être ; malgré les instances de ses amis, de sa famille, il a voulu remplir son devoir tant que ses forces le lui ont permis ; et, soldat intrépide, il est mort au champ d'honneur.
Au mois de janvier dernier, le gouvernement lui donna une marque honorable de distinction : il le décora. Chacun, en applaudissant à cet acte de justice, espérait, pour lui, que dans un avenir prochain, il obtiendrait davantage.
Ami de la liberté, il l'aimait, non pas seulement pour lui, mais surtout pour les autres, chez lesquels il savait respecter toutes les croyances, toutes les sympathies. Sa vie privée a été celle d'un homme de bien, d'exemple honorable ; sa vie publique, celle d'un bon citoyen, franchement dévoué aux institutions libérales, et indépendant sans être hostile. Aussi le peuple, dont il a étudié les besoins, tant comme administrateur des hospices que comme maire, et dont la reconnaissance est à la fois sûre et franche, honorera longtemps sa mémoire.
Puisse, Messieurs, l'unanimité de la douleur publique apporter quelque soulagement à celle d'une famille honorable ; puisse son fils absent, et qui peut-être ignore en ce moment le coup dont il vient d'être frappé, suivre les nobles traditions de son père !
Pour nous, Messieurs, ses amis et ses collègues, qui sommes tout à coup privés de son concours et de son expérience, nous penserons souvent à lui ; et en faisant à sa dépouille mortelle nos derniers adieux, nous prenons l'engagement d'être, comme lui, toujours dévoués aux intérêts de la ville de Poitiers.

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