AdP 05/07-27/09/1787, v.17
Du 30 Août 1787
Lettre de M. LEMIT,
ancien Élève de l’École royale-pratique de Chirurgie de Paris, & Maître en
Chirurgie en cette ville, au Rédateur des Affiches
Monsieur, la mort subite de plusieurs Moissonneurs, arrivés
dans les chaleurs excessives que l’on vient d’éprouver, le peu de secours qu’on
leur a portés, la facilité qu’il y a de le faire, une presque certitude de les
rappeller à la vie avec un peu de soins, me portent à croire que c’est faute
d’instructions & de savoir la manière de s’y prendre dans les personnes qui
les entouroient, s’ils ont perdu la vie. J’ai cru pouvoir être utile, en
indiquant dans votre Feuille, aux personnes charitables & à portée d’obvier
à ce malheur, les moyens les plus simples d’y parvenir. Trop heureux si je
réussis par là à ranimer la commisération & une tendre charité envers des
malheureux qui, pour rouvrir les yeux à la lumière, n’attendent que la main
secourable de ceux en faveur de qui souvent ils se sont exposés à la perdre.
Parmi les causes qui produisent l’asphyxie chez les habitants
de la campagne, ces quatre sont les plus communes : la trop grande
chaleur, les vapeurs vineuses, celles du charbon, & le froid excessif. Le
traitement des trois premières étant le même, je prendrai pour exemple celle de
la vapeur vineuse, comme la plus prochaine : traitement que l’on pourra
également appliquer aux deux autres. Je tracerai celui de l’asphyxie produite
par le froid, dans une autre lettre.
Lorsqu’une personne aura le malheur d’être surprise des
vapeurs vineuses, comme cela est arrivé il y a quelques années à Salvert, on
doit la retirer le plus promptement possible de l’endroit où elle aura été
asphyxiée. Comme il est dangereux de s’exposer sans préalablement renouveler
l’air, on le doit faire en occasionnant un courant d’air, & on descendra
dans le tonneau ou cuve un grand brasier de charbon bien allumé, ou, à son
défaut, un feu de sarmens bien secs ; on répandra ensuite de l’eau froide
aux environs de la cuve, & même dedans. Ces précautions prises, on peut y
descendre avec moins de danger, ayant l’attention de tenir la tête toujours
bien élevée. On connoît que l’air est renouvelé, lorsqu’en y plongeant une
chandelle allumée, elle s’y maintient jusq’uau fond sans paroître vouloir
s’éteindre.
L’asphyxié une fois retiré de la cuve ou autre endroit
méphytisé, il faut l’en éloigner le plus que vous pourrez, le mettre nud, le
laver avec de l’eau & du vinaigre, l’asseoir sur une chaise en plein air,
la tête soutenue dans sa position naturelle ; l’envelopper d’un drap fixé
sous le menton, & puis jeter, sans discontinuer, de l’eau fraîche à plein
verre sur tout son corps, & particulièrement sur le visage & sous le
nez, jusqu’à ce que vous apperceviez quelques signes de vie, qui n’arrivent
quelquefois qu’après plusieurs heures. Ces signes sont le hoquet, le serrement
& sifflement des narines, les machoires fortement appliquées l’une contre
l’autre, un vomissement de glaires épaisses & écumeuses, lequel est suivi
plus ou moins tard d’un tremblement universel qui annonce le retour de la
respiration. Vous saisirez avec empressement l’occasion où le malade aura la
bouche ouverte, pour placer entre ses dents des petits coins ou morceaux de
bois, afin d’empêcher le resserrement subit des machoires, & faciliter le
moyen de mettre quelques grains de sel de cuisine sur la langue. Vous
introduirez ensuite quelques eaux pénétrantes dans le nez, telles qu’alkali
voilatif, eau des Carmes ; ou, à leur défaut, vous ferez brûler de la
corne ou un plumail sous le nez. Cela fait le plus promptement possibvle, vous
reprendrez la projection de l’eau froide au visage, jusqu’à ce que le malade
ait donné des signes de connoissance plus sensibles. Pour lors il se plaint
d’une douleur à la nuque, d’un tressaillement de cœur, d’un rand froid qui
bientôt est remplacé par la chaleur, l’assouplissement, la foiblesse &
l’accablement de tout le corps. A mesure que la connoissance se fortifie,
transportez le malade dans un lit légèrement bassiné, placé dans une chambre
aérée. Essuyez-le fortement avec des linges chauds ; après quoi donnez lui
quelques cuillerées de la potion suivante.
Prenez, eau de vie, six cuillerées à bouche ;
alcali volatil, trente gouttes ; ou, à son défaut, eau
de mélisse ou eau des Carmes, deux cuillerées.
Donnez de cette potion par demi-cuillerée, de quart d’heure
en quart d’heure.
Si la respiration est laborieuse & se fait avec râlement,
le pouls plein, dur & fréquent, & que le malade rende le sang par le
nez ou la bouche ; qu’enfin il ait reçu quelque contusion, on pourra le
saigner du bras, & jamais du pied ni du cou, parce qu’on le regarde comme
malade & non comme asphyxié : car il n’est point de remède qu’on ait
employé contre l’asphyxie de plus dangereux & même de plus mortel que la
saignée. C’est ainsi qu’en a décidé l’Académie des Sciences, dans son dernier
rapport, & l’expérience ne l’a que trop prouvé. Il n’en est pas de même des
purgatifs ; la nature y invite presque toujours par un léger
dévoiement : la potion suivante, plus ou moins répétée, est ce qui
convient.
Prenez deux onces de tamarin, que vous ferez bouillir légèrement
dans une pinte d’eau ; faites infuser pendant la nuit deux gros de séné
mondé, une once de sil d’ipsum ; passez & ajoutez à la colature un
grain d’émétique.
Donnez une verrée de cette boisson toutes les heures. Mais si
la déglutition ne peut se faire, on insistera sur les lavemens purgatifs, faits
avec :
séné, deux gros ;
cristal minéral, un gros ;
miel, une cuillerée.
On usera de ces lavemens jusqu’à ce que la déglutition soit
rétablie, & alors on donnera la potion purgative ci-dessus. Pour boisson
ordinaire, on donnera l’oscicrat, c’est-à-dire un mélange d’eau & de
vinaigre jusqu’à agréable acidile. On pourra même lui en donner des lavemens.
Il arrive très souvent que l’asphyxié est tourmenté d’un mal
de tête si violent qu’il en extravague. Comme ce mal n’est qu’extérieur, on
l’apaise par des nutrocations d’oxcicrat, ou d’un cataplasme de mie de pain,
appliqué sur la tête. Alors on doit purger plus efficacement.
J’ai l’honneur d’être, &c.
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