mardi 2 avril 2013

Bourgeois, Jean-Louis (1746-1821)

Nécrologie des maires de Poitiers

On lit dans les Affiches de Poitiers, n°52, du jeudi 27 décembre 1821 :

M. Jean-Louis Bourgeois, membre du conseil de préfecture du département de la Vienne, est décédé à Poitiers le 17 de ce mois, après une assez longue maladie.
Né en cette ville le 27 janvier 1747, M. Bourgeois s'engagea fort jeune dans le régiment de Normandie : il n'avait pas l'âge prescrit par les ordonnances, ses parents le réclamèrent quelques temps après ; mais, entraîné par ses inclinaisons guerrières, il s'enrôla de nouveau dans le corps des Carabiniers le 5 novembre 1763. Des formes agréables, de l'intelligence et de la bonne volonté lui méritèrent la bienveillance de ses chefs ; il servit avec honneur et probité, et néanmoins, au bout de treize ans, il n'était encore que maréchal-des-logis. Il comprit alors qu'un plébéien ne pouvait guère s'élever plus haut ; et, malgré son affection pour la France, il tourna ses regards vers un pays où la carrière des armes était moins circonscrite. Un seigneur russe lui ayant proposé d'être son aide de camp, il obtint son congé le 13 mai 1776, et partit pour la  Russie. M. Bourgeois tait doué de tous les avantages extérieures ; il était Français, avait de l'instruction et des talents ; il devait se faire remarquer dans un empire où régnait Catherine. Il fut placé dans la garde de l'impératrice, qui récompensa ses services auprès d'elle par un grade supérieur. Après plusieurs années de l'existence la plus agréable au milieu des délices de la première cour du Nord, l'impératrice le chargea d'accompagner un jeune prince qu'elle voulait faire voyager en Europe pour y étudier les institutions et les moeurs des peuples. Ils visitèrent successivement les divers états de l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, l'Angleterre, et ils se disposaient à parcourir la France, déjà ils étaient à Strasbourg, lorsque la révolution éclata. Le jeune prince fut rappelé dans sa patrie. M. Bourgeois balança entre son attachement qu'il avait voué à son élève, et le désir de revoir la terre natale, qu'il avait quittée depuis bien des années, et dont ses pieds touchaient le sol. Ce dernier sentiment l'entraîne vers les lieux de son enfance. Parvenu à l'âge mûr, il espérait jouir, dans un repos honorable, de l'aisance qu'il avait acquise ; il voulait du moins rester étranger aux mouvements qui agitaient la France. Mais on le presse, on le sollicite d'entrer dans les affaires publiques. Alors une carrière nouvelle s'ouvre devant lui. Il est chargé, en 1793, du commandement de la place de Poitiers ; en 1796, la voix publique le désigne pour un des notables de la commune, puis pour président du conseil municipal ; en 1800, il est nommé maire, et il en a continué les fonctions jusqu'au mois d'août 1807. M. Bourgeois a exercé cette importante magistrature avec honneur et désintéressement, il a maintenu le bon ordre dans les temps les plus difficiles ; sous son administration, les charges locales ont été réparties avec équité, les projets utiles accueillis avec empressement ; et les regrets du peuple ne purent être calmés que par la nomination de M. de Bazôges, ce digne magistrat dont la mémoire est également chère aux Poitevins. Le Gouvernement récompensa la belle conduite de M. Bourgeois en le plaçant au conseil de préfecture.
Il a été appelé plusieurs fois à la tête de la garde nationale ; malgré son âge avancé, il la commandait en 1814 et 1815, lors de son organisation en cohorte urbaine. On n'a pas oublié sans doute le zèle qu'il déploya pour le maintien de la discipline et la sûreté publique, et les services que rendit cette garde citoyenne.
Son esprit conciliant l'a porté trois fois à la présidence de l'assemblée du deuxième arrondissement du canton de Poitiers.
M. Bourgeois avait de la franchise dans le caractère, son commerce était sûr, et il avait beaucoup d'amis. Il les rassemblait l'hiver dans son salon ; l'été ils se réunissaient dans un magnifique jardin qu'il avait distribué et décoré avec goût. Riche de ses souvenirs et de ses observations, il les transportait en idée dans les pays qu'il avait parcourus, et surtout dans cette douce Italie, dont le ciel toujours pur inspire si heureusement les poètes et les artistes. Il entremêlait ses récits d'anecdotes curieuses sur les grands personnages qu'il avait connus. Comme il était sincère dans ses affections, il croyait à l'amitié ; et il en ressentit les effets, lorsque, le 18 août 1815, il fut suspendu de ses fonctions de conseiller de préfecture : les amis qui lui restèrent fidèles adoucirent une disgrâce non méritée.
Mais enfin cette rigueur eut un terme : il suffisait de signaler au Gouvernement la conduite et la probité de cet honnête homme pour être sûr de voir erreur réparée. Le 17 février 1819, M. Bourgeois fut réintégré dans ses fonctions, et, le 23 juin de la même année, le Roi daigna confirmer le titre de chevalier de l'ordre de la Légion d'Honneur que S.A.R. Monsieur lui avait accordé dès 1815.
Le 24 mai 1814, les gentilshommes et les notables les plus marquants de la ville avaient présenté, de leur propre mouvement, à S.A.R. Monseigneur le duc d'Angoulême, à son passage à Poitiers, un mémoire pour lui faire accorder la croix de Saint-Louis. Quoiqu'il n'ait pas obtenu cette récompense honorable, il ne parlait jamais sans la plus vive émotion de la marque d'estime que ses concitoyens lui ont donnée dans cette circonstance.
Jouissant en paix d'une considération bien méritée, M. Bourgeois pouvait espérer encore quelques jours d'une vie pure et sans tâche, lorsqu'il a été atteint d'une maladie mortelle. Il ne s'est point fait cher le terme fatal : sa conscience lui disait : Tu as toujours été bon, jusste et bienfaisant. Peu d'heures avant son décès, il s'occupait encore de ce que l'on ferait quand il ne serait plus. Il a demandé que ses obsèques fussent célébrées sans pompe ; mais la véritable pompe est dans la douleur publique : un cortège nombreux s'est réuni spontanément pour dire un éternel adieu à l'homme de bien, et pour accompagner sa cendre jusqu'à ce dernier asile où viennent s'anéantir toutes les grandeurs humaines.
M. Bourgeois a légué de précieux instruments et une belle collection de musique à M. Prévost, amateur distingué, qui entretient dans notre ville le goût des arts, et dont la maison est le rendez-vous de tous ceux qui les cultivent. Il a donné à l'école gratuite de dessin de très belles gravures, et quelques autres morceaux de choix à M. Hyvonnait, directeur de cette école, et à M. Tisseau, adjoint de M. Hyvonnait. Ces dispositions prouvent l'intérêt qu'il portait à ses concitoyens et aux établissements de sa ville natale.

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