lundi 8 avril 2013

Grellaud, Henri (1798-1867)

Nécrologie des maires de Poitiers

On lit dans Le courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres, n°97, jeudi 25 avril 1867 :

Les obsèques de M. Grellaud ont été célébrés hier à l'église Saint-Porchaire, sa paroisse. Une assistance très nombreuse était venue rendre le dernier hommage au défunt.
Les cordons du poêle funéraire étaient tenus par M. Bourbeau, chargé du décanat de la Faculté de Droit ; par M. Fortoul, premier président de la Cour impériale ; par M. Abel Pervinquière, professeur de droit et ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, et par M. pastoureau, secrétaire général de la préfecture.
A la tête du cortège funèbre, on remarquait M. le recteur, M. l'inspecteur d'académie, et tout le personnel de l'administration académique. A la suite venaient également, en robes, MM. les doyens et professeurs des Facultés de droit, des sciences et des lettres, et de l'École de médecine, puis les membres du barreau de Poitiers.
Un concours nombreux de magistrats, de fonctionnaires publics, d'hommes honorables de la cité suivait le convoi de défunt. Un peloton de soldats rendait au légionnaire les honneurs militaires.
Avant de quitter le salon de la maison mortuaire, M. Bourbeau, maire de Poitiers, a prononcé un éloge funèbre que nous reproduisons et dans lequel il a fait connaître si complètement, grâce à son talent de bien dire, la vie, les labeurs et les mérites de son devancier dans la carrière des mêms fonctions publiques, que nous ne saurions rien y ajouter.
Voici le discours de M. Bourbeau :
Messieurs,
L'homme éminent dont nous déplorons la perte laissera des souvenirs durables dans cette ville choisie par lui, il y a quarante ans, comme un lieu favorable au développement des remarquables qualités de son esprit. Cette confiance dans l'avenir qu'il avait entrevu parmi nous n'a point été trompée. La ville à laquelle il était venu demander une bienveillance hospitalité, l'accueillit avec une prédilection dont sa carrière fait apparaître en les justifiant, les éclatants témoignages. Partout où son activité s'est portée, au barreau, dans l'enseignement, dans l'administration municipale, il n'a pas seulement brillé aux premiers rangs, les titres de cette suprématie conquise par son intelligence, lui ont été conférés par le suffrage de ses confrères ou par le choix du gouvernement. Avocat, il a été élu bâtonnier ; professeur à la Faculté de Droit, il l'a dirigée comme doyen ; membre du Conseil municipal, il a été élevé aux fonctions de maire.
Cette existence laborieuse et pénible à ses débuts, heureuse et facile dans la période de l'âge mûr, si triste et si douloureuse dans son inactivité, aux approches de la vieillesse, est digne d'être retracée pour éveiller chez plusieurs le sentiment d'une légitime reconnaissance, chez tous les regrets et les sympathies.
Henri Grellaud naquit le 30 novembre 1798 à la Flotte (Île de Ré). il fit au collège de La Rochelle ses premières études. Sans autre science que celle acquise au collège, mais d'un intelligence vive et ouverte à tous les enseignements, il se destina à la carrière du notariat et vint à Fontenay pour travailler dans une étude et suivre un cours spécial professé dans cette ville pour les aspirants aux fonctions de notaire. Le professeur était vieux et se faisait quelquefois suppléer par ce nouveau disciple qu'il avait distingué, et qui, à peine âgé de 20 ans, montrait pour les études de Droit une aptitude que développa rapidement la néessité d'enseigner aux autres la science qu'il étudiait pour lui-même. A l'âge de 22 ans, il remplaçait définitivement son maître qui l'avait choisi comme successeur ; et en 1821 il publiait un Commentaire de la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat.
L'enseignement de Grellaud a laissé des souvenirs profonds parmi ceux qui l'ont recueilli, et faisait déjà pressentir la puissance de sa parole dans une chaire plus élevée. Mais cet enseignement, empreint de l'esprit libéral qui animait la jeunesse de l'époque, et ses opinions notaoires, suscitèrent au jeune professeur des difficultés et des obstacles. Il dut renoncer à sa chaire. Déjà marié, déjà père, dépourvu de fortune, n'ayant aucun grade acquis dans une Faculté, il vint à Poitiers étudier le droit après l'avoir enseigné, et de professeur écouté, se faire disciple attentif. En 1826, il fut reçu licencié en droit, docteur en 1829. Il avait désormais les instruments de sa fortune ; les concours lui étaient ouverts.
Cependant, une autre perspective vint se présenter à lui après la révolution de 1830. Il fut nommé le 7 septembre 1830 procureur du roi à Loudun ; quelques jours après il était appelé aux mêmes fonctions près le tribunal de Bourbon-Vendée ; mais il renonça à la magistrature pour devenir, le 16 octobre 1830, suppléant provisoire à la Faculté de Poitiers où une chaire et une suppléance étaient devenues vacantes.
Le 16 mai 1831, un concours s'ouvrit devant cette Faculté : Grellaud obtint la chaise de Code civil, aux applaudissements unanimes de l'École. Dire ce que fut son enseignement, imposerait l'obligation d'analyser les qualités de son esprit si vif et si pénétrant. D'une clarté remarquable d'exposition, curieux de théories nouvelles, mais sachant les apprécier à leur valeur, grâce à son discernement pratique et à son jugement droit et sûr, il brillait surtout par l'abondance et la grâce de sa parole, par la vivacité piquante de l'expression et le tour particulier qu'il savait donner à sa pensée. Il avait le don de plaire à la jeunesse, et ce penchant pour le professeur profitait à la science des élèves.
Nommé chevalier de la Légion d'Honneur en 1852, Grellaud devint doyen de la Faculté de Droit au mois d'octobre 1860. Sa bienveillance naturelle trouva l'occasion se produire dans l'exercice de cette autorité morale qui appartient au chef de la Faculté.
Grellaud s'était fait inscrire au tableau des avocats de Poitiers en l'année 1827. Il avait promptement acquis au barreau une renommée que justifiait son talent. Mais la tendance de son esprit le portait de préférence vers les études théoriques. Jeune encore, il renonça à la plaidoirie ; quatre fois il a été bâtonnier de l'ordre.
Depuis l'année 1848, Grellaud avait fait partie du Conseil municipal de Poitiers, lorsqu'il fut nommé maire en l'année 1855, puis membre du Conseil général de la Vienne ; il remplit ces honorables fonctions jusqu'en 1861. Il était arrivé au sommet le plus élevé d'une carrière rapidement et heureusement parcourue. Si son patrimoine ne s'était pas accru, les satisfactions d'un autre ordre, qui suffisent aux âmes généreuses, ne lui avaient pas manqué. Il pouvait entrevoir pour sa vieillesse prochaine le calme et le repos dans la dignité, si doux à ceux qui, dans l'emploi de leur activité, ont trouvé le droit d'y prétendre.
Mais ce n'était pas ce repos si doux à l'homme fatigué par le travail, qu'il devait rencontrer et dans lequel il devait s'endormir. Frappé dans ses affections par le mort de son gendre Minier, notre collègue que nous pleurions ici il y a quelques années à peine, il devait bientôt subir l'atteinte d'une lente maladie qui allait lui imposer une inertie plus douloureuse que les plus dures fatigues, en condamnant son corps à l'immobilité, et son esprit à l'inaction. Ah ! dans cette longue épreuve, les consolations ne lui ont pas manqué, son coeur affectueux a trouvé ses dernières joies dans l'assiduité dévouée de la tendresse filiale. Attaché par la maladie à cette maison devenue pour lui comme un lieu de réclusion ; étranger depuis quelques années au mouvement des affaires et aux intérêts publics dont il avait été le gardien ; presqu'inconnu de ces nouvelles générations d'étudiants qui en se succédant trouveront longtemps autour de sa chaire les échos de sa renommée, il vient de s'éteindre dans les bras de sa fille, associée aux tristesses de sa solitude ; soutenu par la religion, il a vu venir la mort avec calme et ses dernières paroles ont été l'expression affectueuse de la tendresse paternelle.
Pour nous qui l'avons connu dans l'éclat de son talent, qui avons recueilli ses leçons et qui sommes devenus ses collègues, nous venons dans ce dernier hommage honorer le professeur qui fut une des gloires de la Faculté de Droit de Poitiers. Quoique l'inactivité lui fût imposée par ses souffrances, il avait conservé son titre de doyen et sa chaire de professeur ; la mort seule a brisé les liens qui l'attachaient à cette École, théâtre de la victoire du concurrent et des succès du professeur ; et c'est à notre collègue et à notre chef, qu'au nom de la Faculté en deuil, nous adressons le suprême adieu.
De cette riche organisation il restera des souvenirs dont le trésor sera religieusement conservé. Les parents, les amis garderont le souvenir des qualités de son coeur et de son aimable et bienveillante nature. Nous, la famille universitaire, nous conserverons comme un titre d'honneur la renommée du professeur et la tradition de son enseignement.

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