dimanche 8 mai 2016

La catastrophe du "Paris-Côte-d'Argent" en gare de Saint-Saviol du 15 avril 1924

Nous sommes un peu plus de 13 ans après la catastrophe qui a endeuillé la petite commune de Saint-Saviol.

Delcampe.fr

Le Petit Parisien,
16 avril 1924
Le 15 avril 1924, à 1 heure 40, M. Pedelhez, facteur enregistrant à la gare de Saint-Saviol, fait refouler, sur la ligne de Lussac-les-Châteaux, le train de marchandises n°6431, piloté par le mécanicien Pierrat et le chauffeur Turbot, tous deux du dépôt d'Angoulême.
La manœuvre est couverte par le mât carré à 1600 m environ de la gare.
La voie principale est complètement dégagée, Pedelhez a même le temps de verrouiller l'aiguille, lorsque, soudain, surgit, à 100 km/h, le rapide de la Côte-d'Argent, dont la locomotive accroche l'avant-train du convoi 6431.
Dans un fracas effroyable, des masses de fonte volent tout autour de M. Pedelhez, qui, se baissant, évite d'être broyé. Il s'en tire avec une légère plaie au cuir chevelu. Le convoi de marchandises est déplacée sur sa gauche, son avant complètement disloqué. Le rapide, lui, se jette sur sa droite, parcours encore une cinquantaine de mètres, franchit une voie, puis une autre, puis longe un trottoir qui fait office de frein. Il s'arrête brutalement. Le tender se couche, tandis que la machine reste droite. Les employés de la gare sont sur les lieux du drame et organisent les premiers secours.
Le fourgon de tête est coupé en deux : il ne compose plus que d'un amas de planches et de tiges de fer entremêlés aux colis des voyageurs. On cherche le chef de train, M. Monnerie, dont on entend les appels. Il est dégagé, vivant, légèrement blessé au thorax.
Le premier wagon a sa première couchette éventrée. On s'inquiète très vite de celui qui devait y coucher. On le voit bientôt en costume sommaire, au sommet du wagon. Il a réussi à se glisser à travers des planches disjointes et, par chance, n'a pas la moindre écorchure. Le major Marell, 35 ans environ, est grand et mince. Cet anglais, toujours souriant, voyage en France depuis quelques semaines. Il déclarera aux journaliste : "Décidément, on déraille souvent en France. Depuis que je suis dans votre pays, que j'aime beaucoup, c'est mon troisième accident de chemin de fer, le premier près de Marseille, un autre dans la région de Dijon, et celui-ci. Je me demande encore comment j'ai pu échapper à la mort. Je dormais du plus profond sommeil et soudain un bruit effroyable, une rude secousse et me voilà sur le plancher de mon compartiment ; les matelas et couvertures m'étouffent, je me dégage violemment sans avoir encore très bien la notion de ce qui vient d'arriver. C'est alors que je me réveiller complètement ; je suis assis, les jambes repliées, et je suis comme ligoté. Ah ! ce que j'en avais des choses sur moi ! Dans le compartiment d'à côté, j'entends des cris effroyables. C'est un de mes compatriotes qui jure et tempête. Je comprends alors que nous avons dû dérailler et je m'empresse de faire tout ce que je peux pour sortir d'où je suis. Je réussis assez facilement à me mettre debout ; je me tâte et vous comprendrez ma joie de voir que je n'ai rien de cassé. Alors, j'ai vu un trou, j'ai grimpé et j'ai pu aller sur toit du wagon. À ma grande confusions, je me suis aperçu que j'étais tout ce qu'il y a de plus shocking. Pour tout vêtement, je n'avais en effet que mon caleçon et mon pardessus. Mais à la guerre comme à la guerre, comme vous dites, messieurs les Français !".
Brusquement tirés de leur sommeil, les voyageurs ont été projetés sur le parquet de leur compartiment. Une fois de convoi stabilisé, ils sortent en hâte de leurs wagons, à moitié habillés, les yeux hagards, criant, gesticulant et se questionnant, complètement affolés.
Dans la seconde couchette du wagon-lit, un anglais à l'embonpoint développé, le voisin du major, pousse des hurlements sanglants. On le tire par une fenêtre, pour s'apercevoir qu'il n'a pas le moindre mal.
Une des employés des wagons-lits dira à la presse : "c'est mon deuxième accident à Saint-Saviol. J'étais dans le Sud-Express en 1911 quand il tamponna ici une locomotive !".
Sur la machine du rapide, gît un cadavre, la tête affreusement broyée, sa cervelle projetée sur les voies : il s'agit du corps du mécanicien Tranchant, du dépôt de Tours, qui, au moment de l'accident, s'est penché en avant de sa machine. Son chauffeur, Pépy, couvert d'eau et de charbon, a été projeté sur les voies. Il s'en tire avec une légère contusion sur la tête.
Deux voyageurs, sur les 79 qui voyagent dans ce rapide, sont légèrement blessés : un anglais, M. Railing, qui se plaint de douleurs à l'épaule, et une espagnole, Mme Theresa de Orlol, de Séville, qui a un pouce luxé.
Du côté du convoi de marchandises, M. Pierrat, le mécanicien, a quelques contusions sur tout le corps, et son chauffeur, Turbot, une légère écorchure au genou. M. Michelet, le chef de train, a également été blessé.
Le docteur Desbordes arrive bientôt sur les lieux, où le rejoignent quatre de ses confrères de la région. Des soins empressés sont prodigués aux blessés, qui, tous, peuvent rentrer chez eux par les trains suivants. En effet, des dispositions sont tout de suite prises pour assurer le trafic voyageurs. Les trains peuvent continuer à passer par une voie de manœuvre, même s'ils subissent d'importants retards.
Un peu avant trois heures, le parquet de Civray arrive, représenté par Viault, procureur d ela république, de Moron, juge d'instruction, et de Rivaud, commis greffier. La machine de secours du dépôt de Poitiers amène Moreau, inspecteur du contrôle.
La responsabilité de M. Pedelhez est entièrement dégagée. La question qu'on se pose, c'est comment le rapide a pu brûler le mât carré.
On constate alors deux choses : la lanterne du mât est éteinte, bien qu'elle soit garnie (elle peut être rallumée). D'autre part, les pétards sont écrasés.
La lanterne du mât était-elle éteinte quand le rapide est passé ? On sait qu'elle était allumée 20 minutes avant l'accident. Aucun des voyageurs du rapide n'a entendu les pétards. Ont-ils été écrasés par un autre train ? Les employés du train y vont de leur conclusion : "à notre avis, la lanterne était éteinte et les pétards déjà écrasés. Le mécanicien Tranchant était extrêmement prudent ; par deux fois, en effet, il avait déjà, un quart d'heure avant l'accident, dû arrêter son train. Il ne semble pas que sa responsabilité soit en cause". Son chauffeur, Pépy, est interrogé : il ne sait pas si le mât était éteint ou pas. Lui, il était occupé à mettre du charbon dans le foyer, et le pauvre ne pouvait rien voir. Il affirme ne pas avoir entendu les pétards.
Le Petit Parisien,
18 avril 1924
Les conclusions de l'enquête tendent à dire qu'on se trouve en présence d'un cas fortuit et qu'aucune faute n'est à reprocher à l'un ou l'autre des employés de la compagnie.
Une grue de 50t de Tours arrive à 8 heures. Deux jours sont prévus pour rendre les voies à l'entière circulation des trains.
Le lendemain, un interlocuteur tout à fait qualifié, rapporte à la presse qu'"il n'y a, à la gare de Saint-Saviol, malgré le fort trafic, qu'un seul employé de service de 10 heures du soir à 3 heures du matin. Au moment où le train 6431, qui venait de laisser un wagon, chauffait et qu'il était nécessaire de le détacher. Or, on venait précisément d'annoncer que le rapide avait 20 minutes de retard. On avait donc très largement le temps d'exécuter la manœuvre, sans risque de causer quelque retard au rapide. Pendant que M. Pedelhez allait assurer la manœuvre, le retard du rapide fut ramené de 20 minutes à 14. Le facteur enregistrant qui n'avait pas d'employé pour recevoir la nouvelle, n'en fut pas informé".
D'autre part, il est possible que les pétards du mât aient été écrasés par un le train précédent, dont le mécanicien aurait négligé de prévenir la gare. Tout ceci arrive fréquemment.
Les obsèques du malheureux Tranchant ont lieu le 18 avril à Palais-sur-Vienne, près de Limoges.

Sources et extraits :

  • L'Avenir de la Vienne, édition des mercredi 16 et jeudi 17 avril 1924.

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