mercredi 25 mai 2016

L'Oncle d'Amérique : Eugène, dit Germain, Vesque (1883-1968)

Léonie
Mergeot
(1860-1941)
Le 11 janvier 1882, à Ceaux-en-Couhé (Vienne), Léonie Mergeot, née le 21 février 1860 à Mézachard, en cette dite commune, fille de feu Pierre et de Marie Villeneuve, épouse Eugène Vesque, jeune cultivateur de Pers, âgé de 25 ans, fils de Pierre et de feu Marie Granet.
Le couple s'installe à Couhé (Vienne), où va naître, le 24 mars 1883, leur fils prénommé comme son père, Eugène, qui sera surnommé Germain.
Malheureusement, revenu à Mézachard, Eugène Vesque (père) décède brutalement, le 18 octobre suivant, laissant jeune veuve et nourrisson.
Le 23 novembre 1885, Léonie se remarie, à Jean-Baptiste Coulonnier, jeune Maugeois de 27 ans, employé à la ferme-école de Montlouis, à Jardres. Il s'agit des grands-parents maternels de ma grand-mère paternel. J'ai déjà décrit cette famille, dans mon essai sur les Coulonnier.
Jean-Baptiste Coulonnier est un de ces ancêtres, vous devez en connaître, qui se faufilent entre les recensements sans y apparaître. Je l'ai cherché longtemps, après son mariage, et mes trouvailles ne sont que parcellaires. Si ses enfants naissent d'abord à Ceaux-en-Couhé (Jean-Baptiste, né et décédé en 1886 et Marie, en 1887), puis à Saint-Martin-l'Ars, en Vienne, toujours (Eugénie en 1893 et autre Jean-Baptiste en 1895), et enfin à Taizé-Aizie, en Charente (Berthe-Yvonne, mon arrière-grand-mère, en 1902), je ne l'ai vu apparaître sur les recensements que deux fois pour l'instant :
  • en 1896, il apparaît avec sa femme et ses enfants aux Tours, commune de Saint-Martin-l'Ars.
  • en 1906, il est métayer au Chadeuil, commune de Taizé-Aizie.

Jean-Baptiste et Léonie à Taizé

Dans ces deux cas, Eugène, dit Germain, Vesque, fils du premier mariage de Léonie, n'est pas présent. L'idée m'est venu de rechercher son parcours au début du XXe siècle par le biais des registres matricule.
Inscrit au registre matricule du recrutement sous le n°1565, classe 1903, au bureau d'Angoulême, il apparaît comme cultivateur à Taizé-Aizie. Cheveux et sourcils bruns, yeux bruns et front ordinaire, nez moyen et bouche moyenne, menton rond et visage ovale, il mesure 1 m 71. Il présente un degré d'instruction générale de 2 et d'instruction militaire exercé (AD16, Angoulême, 1903, v. 92/327).
Il est appelé à l'activité le 16 novembre 1904 et arrive au corps du 107e régiment d'infanterie ledit jour. Avec certificat de bonne conduite accordé, il passe dans la disponibilité de l'armée active le 13 juillet 1907, en qualité de soldat de 2e classe dans le régiment d'Angoulême.
D'après ce dossier, le 21 février 1908, il réside à Pergamino, en Argentine, qui dépend du consulat de Buenos Aires. Pourquoi et comment est-il arrivé là-bas ? A-t-il réalisé un rêve ?

Pergamino (Wikipedia)
Morón (Wikipedia)

Le 26 juillet 1909, Germain est à Morón, d'où il écrit cette carte postale, à destination, peut-être, de mon aïeule Berthe-Yvonne, qui doit avoir 7 ans, quoique... c'est assez inhabituelle d'appeler sa petite-demie-sœur sa chère cousine :


Muron, 26 juillet 1909 — Chère petite couzine tu doit avoir du travaille pour garder les animaux pendant les moissons. Te voici une batteuse pour battre le blé de ton papa (Chère Yvonne) reçois les plus sincères amitier de ton couzin qui t'embrasse de tout cœur (Charles Berthe) tu embrasseras ton papa et ta maman pour moi ainsi qu'amis et sœur je suis en bonne santé
Quoiqu'il en soit, il est déclaré insoumis du temps de guerre le 20 août 1914. Lors de la mobilisation de 1914, nous apprend Wikipedia, les insoumis désignent les hommes qui ne rejoignent pas immédiatement leur affectation. La définition théorique est :
« tout militaire dans ses foyers, rappelé à l'activité, qui, hors le cas de force majeure, n'est pas arrivé à destination au jour fixé par l'ordre de route régulièrement notifié, est considéré comme insoumis, après un délai de trente jours, et puni des peines édictées par l'article 230 du Code de justice militaire. »
— Article 83 de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l'armée.
Au cours de la Première Guerre mondiale, les cas d'insoumission ont fréquemment entraîné la peine de mort par fusillade, ce sont les Soldats fusillés pour l'exemple et ce, dans la plupart des armées combattantes.

À partir de cet instant, il faudra attendre près de 40 ans pour avoir des nouvelles de cet Oncle d'Amérique. A-t-il eu peur  des autorités, ayant manqué la mobilisation de 1914 ?
Durant cette période, il s'est marié avec Asunta et le couple enverra, bien plus tard, quelques photos malheureusement non datées, comme pour rattraper le temps perdu :


Dans la lettre qui suit, datée du 19 août 1967, on apprend que le couple vit à San Nicolás de los Arroyos, toujours dans la province de Buenos Aires. Il est probable que cette lettre soit l'un des contacts qu'Eugène tente d'avoir avec sa famille, après plusieurs décennies de séparation :

San Nicolás 19 de Août de 1967 — Chers frère et soeur — je vous comunique que moi et ma femme on et bien de santé, et que l'hiver a été rude, les plantes d'oranges et citron on jelé quelques unes perdues et que la vie et toujours chère. Nous désirons savoir de vos nouvelles de tous les parents. Vous nous pardonerai con vous écri pas plus souvan car nous avons pas qui nous fait les lettres c'est un cousin qu'il vive 65 kilomètres de distance. Je écri une lettre a Baptiste on espagnol, il y a une maîtresse d'école quil lui traduit on français ; et moi si jové 10 ans de moins je ferai un voyage en France, le matin me coute de m'abiller par mon âge avancé. Pour la vie chère le gouvernement nous a aumenté la pension. Nous avons une jeune fille avec nous il y a vingt ans quil nous accompagne. Pour maintenant il me reste rien a vois dire, et jespère la prochaine réponse. Donnes-moi des nouvelles de Pierre Chardac, et aussi de Anatole Mérijot. Signé : Eugenio Vesque.
Nda : Jean-Baptiste est le frère de mon aïeule Berthe-Yvonne. A cette lettre, fut probablement joint le cliché suivant :


Je vous envoie notre portait de moi et Eugène dans notre résidance, une pour Yvonne, et l'autre pour Jean Baptiste. Bien le bonjour a tous. Asunta A. de Vesque.
Malheureusement, sans doute en raison de son âge et de sa santé fragile, Eugène meurt peu de temps après. La nouvelle est annoncée par son épouse dans ce courrier :

San Nicolás de los Arroyos, 22 juillet 1968 — Chers soeur et frères — Cette lettre c'est pour vous annoncer la mauvaise nouvelle de la mort de Eugène, le jour 17 juillet, après une courte maladie. Moi je sui resté seule avec une jeune fille con a élevé, depuis l'âge de 12 ans. J'espère que je ve recevoir une pension et je pourrais vivre facilment. Bien le bon-jour a Baptiste et sa femme et aussi les enfants. Asunta A. de Vesque — Eugène Il a toujours conservé en chappelet que sa mère lui avait mi dans sa malle quand il a venu a l'Amérique et moi je lui et mi dans son cercoeil. Il a soufer beaucoup, il nommé sa mère dans son délire. Maintenant la maison me parait grande, que lui n'y est pu et je beaucoup de chagrin.
Mon arrière-grand-mère Berthe-Yvonne et son frère ont répondu à la détresse de leur belle-soeur. Dans ce courrier, Asunta dit :

San Nicolás, le 21 août 68 — Chère soeur — J'ai bien reçu vos lettres du 25 et 29 juillet dernier, ces lettres sont pour moi une grande consolation, car je peux parler de Germain avec vous, lui qui a toujours été si bon pour moi et pour tous. Germain avait conservé le chapelet que sa mère lui avait donné, il était bien usé, mais il a été son bon compagnon jusque dans la tombe. Seule, je savais tous les souvenirs qu'il s'y rattachaient, aussi il est parti avec lui. Germain avait bien souffert avant que les forces l'abandonnent, ne sachant quelle position prendre ou garder. Bien que ses jambes ne le soutenaient plus, il réunissait ses forces pour se lever, mais ne le pouvait, alors, il s'asseyait sur le rebord du lit et pensait le pauvre. Tant il pu s'alimenter ça été tant bien que mal, mais bientôt il ne voulait plus manger et ne prenait qu'un peu de café, ou de maté, et ses forces ont décliné. J'ai fait pour Germain du mieux qu'il m'était possible et bientôt je prendrai la place qui est près de lui, afin que nous soyons réunis jusque dans l'éternité. Je vous remercie de tout cœur pour les bonnes lettres que vous m'avez envoyée. Rita, la jeune fille vous envoie ses amitiés. Ne croyez pas que je vais vous oublier, je ne vous écrirai pas toutes les semaines, mais je ferai mon possible pour vous écrire au moins une fois pour mois. La maison est bien grande pour moi seule, et bien seule très tristement je vous embrasse affectueusement. — Asunta.
L'échange se poursuit courant octobre avec Berthe-Yvonne :

5/10/68 — Chère soeur — Je vous répond à la lettre du 13 septembre que j'ai reçue avec joie. Je vais de plus en plus mal car depuis la mort de Eugène je ne me sent pas bien. Votre mari, comme moi doit sentir diminuer ses forces car j'ai l'impression que je suis saôle je ne peux plus me soutenir. Le 17 octobre il y aura une messe pour lui. Je pense beaucoup à lui. Mes amis m'ont idée et continuent à la faire, ils sont très gentils mais je reste dans ma peine c'est impossible de l'oublier même un peu, quand je mange je me rapelle et je suis obligée à tout y laisser le manger. Eugène est dans une chapelle qui ma coutée très cher, avec une plaque en bronze, tout est bien arrangé. Je suis maintenant dans la misère jusqu'à quand que l'on payera ma retraite. Rita m'aide beaucoup sans elle je ne serai plus là. Pendant toute sa maladie j'ai pris soin de Eugène, mais les derniers jours je ne pouvais plus. Plusieurs fois par semaine je vais le voir, c'est très dur à supporter. Je suppose que Baptiste va mieux, et je souhaite qu'il reprenne des forces. Maintenant quand j'ai besoin d'arranger des petites choses il n'est plus là pour le faire quand je vais au jardin et au poulailler je vois tout si désolé et abandonner et que je rentre à la maison et que je ne le vois pas, c'est à ce moment là que revient mon chagrin. Je me sens seule quand Rita va au travail elle y reste toute l'après-midi jusqu'à neuf heures. Je me rappelle que Eugène se souvenait et pensait beaucoup à vous et en particulier à Marie. Je vous demande aussi de m'envoyer une foto de Eugène et si vous avais celle où il est à cheval avec des animaux car je n'en ai aucune. Recevez de ma parts mes plus affectueuse pensée et je vous embrase bien. Rita aussi vous salue bien.
Cette fois-ci celle que vous écrit est la fille de la dame qui vous à écrit la dernière fois. Votre sœur à beaucoup de peine et sent beaucoup la disparition de votre frère. Mais malgré elle a tout supporté avec beaucoup de courage. Ecrivez lui souvent car elle s'ennuie ce qui la fait penser davantage. Merci. Lucie Schoepf.
Mon arrière-grand-père, Eugène Theulière, dont j'avais déjà évoqué le parcours durant la guerre 14/18, est celui qui est mentionné dans cette lettre. Asunta prénomme son mari tantôt Germain, tantôt Eugène.
Un autre courrier le mois suivant :

San Nicolás, 16 novembre 1968 — Chers beau-frère et belle-sœur — je vous communique que ma santé et mauvaise je des douleurs dans les jambes je me fatigue facilement j'espère que vous autres vous étes bien de santé. Souvent he vais au cimetière lui porter des fleurs a Germain et pour être près de lui en moment. Ecrivez-moi souvent cela me ferait plaisir. Je vous embrasse a tous. Asunta A. de Vesque.
Un autre courrier de décembre 1968 est écrit en espagnol. Comme je parle aussi bien cette langue que ma main gauche, je ne pourrais vous en dire plus. Si l'un d'entre vous se sent l'âme d'un traducteur, je jouerais volontiers l'opportuniste :


Quelques mois passent, puis, de nouveau, Asunta écrit en mars 1969 :

San Nicolás — 25/3/69 — Chère sœur — Je vous écrit car j'ai su par l'intermédiaire d'une amie qu'il y avait eu des difficultés avec le courrier. Je vous ait écrit au paravent au mois de janvier et jusque maintenant nous n'avons pas reçu de réponse. J'espère que votre santé s'ameliore ca moi je continue malade depuis la mort de Eugène. Je vais au docteur y me traite bien. Hier c'était l'anniversaire de la mort de Eugène j'aurais voulu allée au cimetière mais il a plus beaucoup et je n'avais personne pour m'acompagner car Rita travaillait. Je suis en attente encore de la retraite mais elle n'arrive pas. C'est très difficile de vivre dans ces circonstances. Jusqu'à maintenant il n'a pas fait droit. Je pense que là-bas il a tenu. J'ai aussi écrit à Baptiste je pense que je recevrais dans pas longtemps une réponse. Pardonnez moi de ne pas avoir pas écrire avant car la jeune fille qui vous écrit va en classe et n'a pas tout son temps disponible. Je vous souhaite une meilleure santé et recevez mes plus affectueuse pensée et aussi Rita que sa souvient souvent de vous pour vous et vos enfants. Lucie Schoepf.
Puis en juin :

San Nicolás — 20 juin de 1969 — Cher parents, je reçu votre lettre ou vous me dite que Eugène a 81 ans et Yvonne 67 et que vous aller voir le docteur, j'espère que vous êtres guerie et que tous vous êtes en bonne santé. Moi je suis a peu près bien je crois que je vais recevoir la retraite bientôt. On et en plein hiver et fait froid beaucoup je suis contente de savoir que la petite pèse 7 kilos et que sa sœur a fait la première communion. Bien le bonjour a Baptiste et a toute la famille. Bien le bonjour et vous envoie la jeune fille qui vive avec moi.
Les enfants mentionnés dans cette lettre sont deux de mes tantes paternelles. La plus jeune est née en décembre 1968.
et enfin en fin de cette même année :

San Nicolás — 17/12/69 — Ma chère sœur — j'ai reçu votre lettre qui ma fait sourire et pleurer en même temps. Pardonnez moi si je ne vous est écrit avant car ma petite amie avez des examens a passer et elle n'a pu venir avant. Comme je vous le disais j'ai souris car je vois votre tendresse quand vous me parler de la fille de Jeanine. J'ai pleuré quand vous m'avez fait savoir que vous étiez toujours souffrante et que votre mari soit presque sourd mais heureusement qu'il est encore fort. Ma santé n'est guère meilleurs j'ai maigri et mes jambes me font terriblement souffrir. J'espère que la vendange eu du succès j'aimerai bien gouter de votre vin qui me paraît de si loin délicieux.
Je profite que Mme Vesque est partie pour vous raconter un jour de sa vie. Elle vit bien tristement elle reste seule de temps en temps mais le colège ne me le permet pas souvent. Elle vas au cimetière deux fois par semaine. Elle est très gentille et malgré sa pauvreté chaque fois que je vint elle me forçe a emmener des œufs frais, de la salade et bien d'autres choses. Continuellement elle me parle de son mari moi je ne l'ait pas connu, seulement ma maman qui ma maman qui maintenant est sa (...) Après cela il ne me reste plus qu'à vous souhaiter a tous un joyeux noél et une bonne nouvelle année. Lucie Schoepf.
Il faut attendre trois ans pour avoir des nouvelles de la tante d'Amérique. Il s'agit également de son dernier courrier, écrit en espagnol :


L'ensemble de ces courriers donne un aperçu de cette tranchée de vie iconoclaste. Bien des questions restent en suspens : qu'est devenu par la suite Asunta ? Et, Rita, la jeune fille qu'ils ont adopté, est-elle encore en vie ? Et la jeune fille qui écrivait ces lettres ?
J'ai une dernière photo, probablement envoyée peu avant le décès d'Eugène, avec le premier courrier. Celle-ci montre le couple, avec une jeune femme, peut-être Rita en question ?


Remerciements à ma grand-mère pour les courriers.

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